POURQUOI JE M'EN MÊLE ...

"NOUS SOMMES TOUS SOURDS QUAND CELA ARRANGE NOTRE BONHEUR. CELA REPOSE UN PEU DE NE PAS TOUT ENTENDRE" - Tahar Ben Jelloun

dimanche 5 avril 2009

G20, DESSINE-MOI UN "NOUVEL ORDRE MONDIAL"


L'ensemble des participants au sommet du G20 de Londres sont ressortis avec le sourire. Tous ont évoqué un compromis historique. Dans la foulée, un vent d’enthousiasme s’est emparé des médias, certains n’hésitant pas à parler d’un « Nouvel Ordre Mondial », une formule empruntée d’ailleurs à Gordon Brown, Premier Ministre Britannique, hôte du Sommet. Après avoir communié moi-même dans cette euphorie ambiante, je me suis demandé si un sommet qui se clôturait dans un tel satisfecit à la limite de l’unanimisme n’était pas un peu louche, si ce consensualisme bon enfant ne devait pas être dépassé pour questionner un peu plus en profondeur ce qui s’est dit et ce à quoi on a assisté. C’est donc à cet exercice que je voudrais me livrer ici.

Un Sommet entre riches, à l’image de ce qu’est la scène internationale

Le G20, à l'instar du G8, n'est rien de moins qu'un club des pays riches qui se réunissent selon leur propre calendrier pour résoudre des problèmes dont ils sont les seuls à décider de l’urgence et qu’ils n’ont guère envie de porter à l’agenda de l’ONU, la seule instance internationale à laquelle n’échappe quasiment aucun problème de portée universelle. Cela leur donne l’avantage d’être plus expéditifs qu’à l’Assemblée Générale onusienne où plus de 180 pays ont voix au chapitre. En même temps qu'apparaît le peu d’empressement de ces pays à renforcer la crédibilité et l’efficacité du « machin », voilà mise en exergue une réalité qu’on a parfois tendance à oublier; c’est que dans les faits, sur une foule d’enjeux, le sort des milliards d’humains sur terre n’est finalement lié qu’à la volonté politique d’une poignée d’États aux P.I.B. per capita aux antipodes de ceux du Malawi ou d’Haïti. Et quand cet enjeu est cette fois le grippage du système capitaliste sur lequel ces États ont fondé toute leur foi depuis des décennies, avec à la clé une crise financière déclenchée par celui-là même qui passait pour le modèle indétrônable du système, il ne viendrait à l’idée de personne de donner la parole aux pauvres. Ces derniers qui vont faire les frais d’une crise dans laquelle, pour une fois, ils n’auront joué aucun rôle actif, sont donc restés loin des bords de la Tamise. Ils ont dû espérer que Dominique Strauss-Kahn, patron d’une institution qui hier encore incarnait pour l’écrasante majorité d’entre eux le Monstre sans cœur, convainque, si besoin était, les riches absorbés par leurs plans de relance à tout va, à ne pas les laisser sombrer. Pour ce qui est de l’Afrique, qu’il suffise de mentionner que le Président sud-africain Kgalema Motlanthe était le seul Chef d'Etat du continent à avoir été associé à ce G20. Le Guide de la Jamahiriya arabe libyenne, Muhammar Khadafi, aurait voulu venir dresser sa tente dans la cour d'un beau palace londonien, l'espace de cette grand-messe si médiatisée, mais le Président en exercice de l'Union Africaine a été soigneusement évité, les "grands" lui ayant préféré deux autres invités africains, à savoir le Premier ministre Ethiopien Mélès Zenawi représentant le NEPAD et le Gabonais Jean Ping, Président de la Commission de l'Union Africaine. C'est hélas ainsi, sur la scène internationale, vous ne pesez que si vous êtes riche et puissant. Il ne reste pour les Africains qu’à prier pour que les belles promesses faites ne restent pas lettre morte, comme l’engagement d’il y a 30 ans des mêmes pays riches à consacrer annuellement 0,7% de leur PIB à l’aide publique au développement. Mais ça, c'est une autre paire de manches.

Les États-Unis ou l’orgueil blessé du Maître

On le sait, le Sommet de Londres était l'occasion pour le nouveau Président américain Barack Obama de passer son premier gros test international. La rupture avec l'ère Bush, voire avec la politique américaine initiée depuis Ronald Reagan, semble consommée. "Dans un monde aussi complexe qu'il l'est désormais, il est très important pour nous de fonder des partenariats, et non d'imposer des solutions", a affirmé lors du sommet le dirigeant américain, incontestablement «la star » du Sommet. Barack Obama a d'ailleurs mis en pratique ses déclarations puisqu'il a dû renoncer à demander au G20 de fixer un objectif sur les relances fiscales, devant l'opposition du couple franco-allemand. Ce recul d'Obama est en partie dictée par le pragmatisme, car son pays ne peut plus légitimer à l'échelle internationale sa domination sans partage par sa toute-puissance financière: les ressources américaines sont désormais tournées vers le colossal plan de relance concocté par son administration. En outre, cette crise, la plus grave depuis la Seconde guerre mondiale, est celle de la finance à l'anglo-saxonne. Or la dérégulation a servi depuis plusieurs années la stratégie des Etats-Unis pour accroître la "financiarisation" de l'économie, donc leur propre influence. Après avoir gesticulé, au risque de paraître ridicule, en menaçant de quitter le sommet s’il n’était pas satisfait de la tournure des débats, Nicolas Sarkozy a argué jeudi que le dernier sommet du G20 scellait la fin du modèle anglo-saxon de marché. C'est sans doute très excessif, exagérément optimiste diraient certains, mais les Etats-Unis ont à coup sûr perdu de l'influence. Que Russes et Chinois évoquent, même sachant que la concrétisation n’est pas pour demain, la fin du règne du King Dollar dans le système monétaire international, est un signe des temps qui ne doit pas laisser Barack Obama indifférent.

Le FMI, probablement le véritable gagnant du sommet

"Les dirigeants du G20 ont envoyé aujourd'hui un message fort: la communauté internationale est déterminée à soutenir ces pays, y compris en veillant à ce que le FMI dispose des ressources nécessaires", a déclaré Dominique Strauss-Kahn, le directeur général du Fonds, après le sommet. À première vue, l'organisation a tout gagné en obtenant un triplement de ses ressources. Le FMI disposera immédiatement de 250 milliards de dollars supplémentaires pour mener à bien ses missions, grâce aux engagements du Japon, de l'Union Européenne et de la Chine. Ce montant sera par la suite porté à 500 milliards de dollars par d'autres contributions. En outre, le Fonds pourra émettre de nouveaux "Droits de Tirage Spéciaux" (DTS), l'unité de compte propre à l'organisation basée sur un panier de devises incluant le dollar, le yen, l'euro et la livre sterling, pour apporter 250 milliards de dollars de liquidités internationales supplémentaires. Ce changement de dimension à 1 000 milliards de dollars permettra au FMI d'apporter davantage de soutien aux maillons faibles de l'économie mondiale, dont les pays africains devant lesquels Dominique Strauss-Kahn avait lancé un appel en direction des pays riches lors de la conférence de Dar es Salam (Tanzanie) à la mi-mars. Mais déjà, à brève échéance, le Fonds va pouvoir rassurer sur sa capacité d'aide aux pays d'Europe de l'Est notamment, sévèrement secoués par la crise et identifiés par de nombreux économistes comme une menace majeure pour la stabilité mondiale. Dans ce grand plébiscite mondial, le communiqué du FMI est plutôt tout en sobriété. Le Fonds s’est voulu beau joueur, puisqu'un an plus tôt, les grandes nations l'avaient vertement tancé dans un contexte tendu marqué notamment par une baisse des prêts aux économies en difficultés. Simon Johnson, l’ancien économiste-chef du Fonds cité par l’Agence Bloomberg, a ironisé : « Il y a un an, les mêmes pays avaient forcé le FMI à lancer une série de réductions budgétaires très préjudiciables... Maintenant on demande au FMI de revenir à la rescousse. Je pense que la motivation du jour est 'Oups, désolé. S'il vous plaît, revenez aider les pays avec beaucoup d'argent' ».
L'influence de l'organisation sera également accrue par un élargissement de sa base décisionnaire aux nations dont l'expansion économique le justifie. Dans son communiqué final, le G20 s'est dit attaché à la réforme des quotes-parts telle qu'annoncée en avril 2008, qui devrait être mise en place début 2011. Nul doute que les pays "BRIC" (Brésil, Russie, Inde, Chine) acquerront davantage de pouvoir, ainsi qu'ils l'ont appelé de leurs vœux lors d'un sommet commun 15 jours auparavant. Cela ira de pair avec la hausse de leurs contributions, logique au regard de leur croissance sur l'échiquier mondial. Or qui dit montée du pouvoir des "BRIC" dit aussi, dans une certaine mesure, recul une fois de plus, de l’hégémonie américaine au sein de cette IFI.

Cela étant dit, si des leçons doivent être tirées des origines de la crise actuelle par la maison FMI, l'une d'elles est que la politique de deux poids, deux mesures qui a présidé à son fonctionnement jusqu'à ce jour ne peut plus continuer. Le Fonds ne devrait plus se permettre d'imposer la rigueur financière et économique aux pays pauvres tout en laissant les pays riches jouer aux apprentis sorciers d'un capitalisme sans visage, dont les excès ont produit depuis l'Amérique, l'onde de choc que l'on sait. La réforme que tout le monde appelle de ses voeux ne doit pas se satisfaire de mesures cosmétiques, mais procéder à une véritable refondation.

La Chine ou « l’invitée sans surprise » du « Nouvel Ordre Mondial »

Il ne serait pas exagéré de dire que les héritiers de Deng Xiaoping ont su tirer les marrons du feu lors du sommet. Il faut rappeler que ce ne sont pas les Etats-Unis mais bien la Chine qui a apporté la rallonge nécessaire (40 milliards de dollars) au doublement des ressources immédiates du FMI, aux côtés du Japon et de l'UE (100 milliards de dollars chacun). Il y a peu, Washington se serait sans doute opposé à cette innovation, pour éviter de diluer son emprise financière et donc décisionnaire sur le Fonds. Il semble que cette contribution eut été débloquée en échange d'un engagement du G20 à réformer rapidement le FMI, ce à quoi les États-Unis auraient pu difficilement faire obstacle, pour les raisons que nous évoquions précédemment. La Chine devrait donc jouer un rôle grandissant au sein de cette organisation, à la mesure de son expansion économique. Elle devrait devenir rapidement l'un de ses principaux bailleurs de fonds, et y accroître en conséquence son pouvoir décisionnaire. Dans un article intitulé "G20, Les gagnants et les perdants", le quotidien britannique The Telegraph assigne un 8 sur 10 à la Chine au sortir de la réunion, la meilleure note devant la France (7/10, pour la gestion du sommet "à l'ancienne" de Nicolas Sarkozy), alors que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont en queue de peloton avec 6/10.
L’avenir dira si le «Nouvel Ordre Mondial» annoncé par Gordon Brown jeudi a écrit à Londres ses premières lettres en inaugurant ce qui pourrait être un passage de pouvoir pour le leadership mondial, entre les Etats-Unis et la Chine. D’ici là et sans doute pour longtemps encore, la Chine sait très bien qu’elle ne peut pas se passer des Etats-Unis et vice versa. Une grande partie de l’endettement américain est détenu par l’épargne chinoise. Si les Etats-Unis s’écroulent, la Chine plonge. Chacun est assis sur une bombe : Barack Obama sur la bombe de la dette publique américaine, Hu Jintao sur la bombe démographique chinoise, une population chinoise qui a fini par prendre l’habitude de la croissance et de l’enrichissement et dont nul ne sait comment elle réagirait si elle devait être confrontée à une crise à l'ampleur de celle qui continue de secouer les Etats-Unis.

Ce qui est certain, c'est que Londres aura été une étape décisive dont nous ne savons peut-être pas encore exactement ce sur quoi elle débouchera.