POURQUOI JE M'EN MÊLE ...

"NOUS SOMMES TOUS SOURDS QUAND CELA ARRANGE NOTRE BONHEUR. CELA REPOSE UN PEU DE NE PAS TOUT ENTENDRE" - Tahar Ben Jelloun

jeudi 4 août 2011

Bachar Al-Assad, le tyran intouchable


Là où le Conseil de sécurité de l’ONU avait mis moins de deux mois avant d’adopter la Résolution 1973 autorisant l’usage de la force armée contre le régime de Mouammar Kadhafi, cinq mois et plus de 1.600 civils tués par la dictature héréditaire syrienne semblent insuffisants pour convaincre cette institution que la vie d’un Syrien n’est pas moins futile que celle d’un Libyen ou d’un Kosovar.

Et n’en déplaise aux pourfendeurs de « l’ingérence » occidentale prompts à condamner la politique de deux pois deux mesures des puissances occidentales – critiques souvent justifiées, certes – force est de constater que cette fois, l’empêcheur d’empêcher en paix a pour nom la mauvaise foi, voire le cynisme de la communauté internationale dans son ensemble. Il y a d’abord les Russes et les Chinois, amis inconditionnels du régime de Damas. Moscou et Pékin auront pesé de tout leur poids au sein du Conseil pour, dans un premier temps, refuser de condamner sans atermoiements le carnage à huis-clos orchestré par le fils Assad et dans un deuxième temps – le scandale étant devenu par trop évident – de confiner l’ONU dans une posture tenant de la plus haute tartuferie. En effet, qu’est-ce que c’est que ce consensus mou auquel le Conseil a abouti hier mercredi 3 août et qui consiste à adopter une Déclaration, dont la force est de loin moins contraignante que celle d’une Résolution, condamnant le régime sanguinaire syrien ? Est-ce faute de savoir que sur le terrain, malgré l’absence des journalistes étrangers déclarés pour des raisons évidentes persona non grata par les officiels, les chars déployés par centaines dans les villes et aux frontières, répriment dans le sang un mouvement populaire qui a pour vocation légitime de vouloir se défaire d’une tyrannie ?

Il faut rappeler qu’un projet de résolution déposé par la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, le Portugal, et appuyé par les Etats-Unis, s'était heurté à la menace de veto de la Russie et de la Chine, elles-mêmes soutenues par plusieurs autres pays. Mais si l'aggravation des violences a finalement convaincu les membres du Conseil de prendre position, c’est en bottant en touche que les uns et les autres ont fait semblant de se remuer. D’où la Déclaration, pas plus dissuasive pour Bachar Al-Assad que ne l’eût été une bulle papale de Benoît XVI depuis le Vatican. On attendait au minimum des sanctions économiques du type gel des avoirs gardés à l’étranger à l’encontre du tyran et de son cercle rapproché, on a eu droit à une condamnation du bout des lèvres doublé d’une parodie d’appel à « mettre en œuvre les réformes démocratiques promises » ! On dirait un appel du Congrès américain au gouvernement israélien à cesser la colonisation en Palestine. Ca ne mange guère de pain. Juste bon pour donner du change, sauver la face.

De fait, le malheur des Syriens, c’est que cette fois, Occidentaux et non-Occidentaux croient pour des raisons divergentes mais aux conséquences tristement déplorables, que le statu quo à Damas fait davantage leurs affaires qu’un remodelage du paysage politique d’une région connue pour être le talon d’Achille de la paix et de la sécurité internationales, avec en toile de fond le conflit israélo-arabe. C’est ainsi que les Occidentaux ont peur d’un après-Al Assad qui accoucherait d’une instabilité régionale dont l’allié israélien ferait les frais (à la différence de l’Égypte qui a signé un traité de paix avec l’État hébreux, la Syrie est toujours théoriquement en guerre avec son voisin du sud-ouest qui occupe partiellement le Golan). Les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) sont quant à eux motivés dans leurs manœuvres à la fois par des considérations économiques à l’égard d’un partenaire en affaires et par un calcul de pure stratégie consistant à ne pas laisser l’OTAN bouleverser le rapport des forces à grande échelle à leur détriment ou sans qu’ils n’obtiennent en retour des gains politiques jugés substantiels. L’attitude la plus déplorable, selon moi, est celle de la Ligue arabe. Prompte à condamner le dictateur libyen au moment où celui-ci promettait à son peuple « des rivières de sang », la Ligue vient nous dire, par la bouche de son Secrétaire général Amr Moussa, qu’il n’appartient à aucune instance internationale de déclarer « illégitime » un gouvernement étranger, en l’occurrence celui de la Syrie, fut-il déterminé à massacrer son propre peuple. La ligue est prise au piège de ses dissensions internes entre tenants de la ligne dure et partisans d’une solution dite politique ménageant Al-Bachar au nom du risque d’une implosion interne. Autant de raisons qui se muent en déraison et finissent par être interprétées par le dictateur comme un permis illimité de massacrer en paix.

La seule chose, me semble-t-il, qui puisse réellement pousser les uns et les autres à faire passer « la responsabilité de protéger » devant les calculs politiciens, reste la mobilisation de l’opinion internationale, autrement dit la solidarité citoyenne active. À l’ère du web 2.0, là où la volonté politique bégaie, l’activisme citoyen à grande échelle devrait être plus que jamais le fer de lance de la « non-indifférence ». Il faut des « flottilles de la paix » pour la Syrie, il faut des BHL pour la Syrie, il nous faut prendre la parole par tous les moyens et dire à nos dirigeants : « Nous sommes tous des Syriens ! ». C’est trop facile de se cacher derrière la belle règle de non ingérence lorsqu’on n’est pas en danger soi-même et qu’on a le luxe de commenter les violations des droits de l’Homme derrière son écran de télé comme s’il s’agissait d’une banale partie de tauromachie. Mais force est de constater que cet été, les bonnes causes manquent cruellement de relais citoyen. Ni la famine qui frappe actuellement la corne de l’Afrique ni la Syrie ne réussissent à troubler nos vacances ensoleillées. Combien de temps cela durera-t-il ?

La résolution du Conseil de sécurité sur la situation politique en Libye peut être lue ici : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/03/18/le-texte-de-la-resolution-sur-le-libye_1494976_3212.html