POURQUOI JE M'EN MÊLE ...

"NOUS SOMMES TOUS SOURDS QUAND CELA ARRANGE NOTRE BONHEUR. CELA REPOSE UN PEU DE NE PAS TOUT ENTENDRE" - Tahar Ben Jelloun

jeudi 19 mars 2009

AVEC BENOIT XVI, LE VATICAN A SA "MACHINE À GAFFES"


On connaissait Joe Biden, de son vrai nom Joseph Robinette Biden, surnommé « The gaffe machine » pour ses sorties abracadabrantesques capables de mettre dans l’embarras son propre camp politique, pour le grand bonheur des Républicains américains. Mais le Vice-Président catholique choisi par Barack Obama devra désormais compter avec « la rivalité » que lui fait un autre Joseph, en la personne du Chef de l’État du Vatican, également Guide Spirituel reputé « Infaillible » pour une Église catholique qui semble avoir tout le mal du monde à accorder sa doctrine millénaire à l’évolution d’une société post-moderne qui n’a rien à avoir avec l’époque où les Rois du vieux continent faisaient allégeance au Prince de Rome.

C’est que le successeur de Jean-Paul II, l'ancien Cardinal Joseph Ratzinger, n’a pas fini de défrayer la chronique depuis son élection au pontificat de Rome. Pour ne relever que les faits les plus saillants, on se souviendra de la polémique soulevée peu après son élection en 2005, à Ratisbonne, lors d’un discours dans lequel l’Islam aurait été présenté comme une religion intolérante et fondée sur la violence. Le tollé fut général dans le monde arabo-musulman, la cause entendue; celui que ses contempteurs avaient surnommé naguère le Panzercardinal à cause de ses origines allemandes, mais surtout de son passage dans les jeunesses hitlériennes durant la IIème Guerre Mondiale, avait dû s'expliquer, clarifier sa pensée et présenter ses excuses. Celui que d'aucuns avaient déjà désigné quelques années auparavant comme le chef de file des "théocons" (entendez théologiens conservateurs), par analogie aux "néocons", les néo-conservateurs de l'ère Bush, venait d'annoncer les couleurs de ce que serait son pontificat.

2009, rebelote ! En février, la « Williamson gate », du nom de cet évêque intégriste dont Benoït XVI a levé l'excommunication au moment même où celui-ci tenait des propos négationnistes repris par plusieurs médias à travers le monde. Si le Pape a pu ignorer la teneur des déclaration de cet Évêque sulfureux qui officiait en marge de l’Église depuis l’Argentine, personne n’a par contre compris pourquoi, malgré le tollé qui s’en est suivi, Benoît XVI a tardé à réagir. À trouver les mots justes pour expliquer qu'il condamne fermement le négationnisme, mais que son but est de rassembler son église, notamment dans une Europe où la foi chrétienne est en perte de vitesse, où la spiritualité en est réduite à sa plus simple expression. Dans une lettre adressée alors aux évêques du monde entier, Benoît XVI a préféré jouer la carte du bouc émissaire, alors même qu’en public il venait de faire ce qui aurait pu être assimilé à un mea culpa, se reprochant de n'avoir pas "suivi avec attention les informations auxquelles on peut accéder sur Internet". À ses lieutenants, il dira plutôt : "On a parfois l'impression que notre société a besoin d'un groupe (...) contre lequel on peut tranquillement se lancer avec haine", en référence aux intégristes. "Et si quelqu'un ose s'en approcher - dans le cas présent le pape - (...) il peut lui aussi être traité avec haine sans crainte ni réserve", affirmait-il. Bref, il avait « Joe-bidené », mais c’était pas sa faute, c’était les autres qui étaient ivres de haine. N'est-ce pas le degré zéro de la communication pour un personnage d'une si grande envergure ?

Toujours en février, survient le drame vécu par cette petite brésilienne de 9 ans, violée par son beau-père, qui a avorté de jumeaux alors qu'elle était enceinte de quinze semaines. L'évêque de Récife a prononcé l'excommunication de la mère de la fillette et de l'équipe médicale. Aucun blâme, en revanche, contre le violeur, qui devrait continuer à partager le « Saint Sacrement ». Le Vatican a validé, puis justifié cette accablante décision : "Il faut toujours protéger la vie". Mais sur cette affaire qui en a bouleversé plus d’un, la voix papale n’arrive pas à empêcher une vraie cacophonie au Vatican. Dans une tribune publiée dans le journal du Vatican « L'Osservatore Romano », l'archevêque Rino Fisichella, président de l'Académie pontificale pour la vie, estime pour sa part que les médecins ne méritaient pas l'excommunication car leur intention était de sauver la fillette, dont la vie était menacée selon eux par la poursuite de sa grossesse. Il le fait savoir : «Avant de penser à une excommunication, il était nécessaire et urgent de sauvegarder la vie innocente de la fillette pour la ramener à un niveau d'humanité dont nous, hommes d'Église, devrions être les experts et les maîtres», écrit Mgr Fisichella. Tout en rappelant que l'avortement est toujours une «mauvaise» chose, l'archevêque note que la proclamation publique de l'excommunication «nuit malheureusement à la crédibilité de notre enseignement, qui apparaît, aux yeux de beaucoup, comme insensible, incompréhensible et manquant de miséricorde». Mais le Pape, lui, doit penser autrement et pour quiconque en douterait, il vient de réitérer ce vendredi 20 mars, à son arrivée en Angola, deuxième étape de sa tournée africaine, « l’opposition de l’Église à l’avortement, y compris à de fins thérapeutiques ». On ne peut pas être plus clair. Je traduis donc : «Malheur aux violées, malheur aux porteuses des grossesses à hauts risques… ou plutôt, heureuses les femmes qui les subissent, car le Royaume des Cieux est à elles ». Vraiment ?

L’Afrique, donc. Nous sommes en mars, le voici qui débarque en terre d’Afrique, une terre qui constitue encore, avec l’Amérique latine, l’un des rares fronts où l’Église catholique n’a pas encore définitivement perdu la guerre de la foi. Dans l’avion qui le conduit au Cameroun, Benoît XVI déclare sans broncher qu’ « on ne peut pas régler le problème du sida avec la distribution de préservatifs. Au contraire, leur utilisation aggrave le problème.» Ces propos, prononcés à l’adresse d’un continent qui est le plus touché par la pandémie, continuent à soulever un tollé à la mesure du crédit que des milliers de croyants Africains, du haut de leur crédulité, peuvent y accorder. Politiciens, médecins et responsables d’ONG ont fermement condamné les propos du souverain pontife, jugés graves et irresponsables. Une nouvelle fois, même des Évêques catholiques prennent le risque de mécontenter leur chef et montent, à nouveau, au créneau. S'ils partagent le fond de la pensée de leur guide spirituel, en référence à la chasteté et à la fidélité dans le lien du mariage, ils considèrent cependant que les propos du pape sont de nature à faire plus de mal que de bien à des Africains totalement désarmés face au SIDA. Alain Juppé, Maire de la ville de Bordeaux et ancien Premier Ministre sous Jacques Chirac, figure parmi les personnalités politiques non-Africaines qui ont commenté les propos de Benoît XVI : "Aller dire en Afrique que le préservatif aggrave le danger du sida, c'est d'abord une contrevérité et c'est inacceptable pour les populations africaines et pour tout le monde", a-t-il déclaré lors d'une interview accordée à la Chaîne France Culture. "Ce pape commence à poser un vrai problème, je sens autour de moi un malaise profond", a ajouté M. Juppé, qui a "l'impression que le pape vit dans une situation d'autisme total". Même son de cloche du côté des associations de lutte contre la pandémie qui sur terrain, évoquent toutes les difficultés qu’elles vont devoir surmonter pour mener de coûteuses campagnes de sensibilisation afin de remettre les pendules à l’heure après les propos de celui dont chaque phrase est considérée par ses ouailles comme "parole d'Évangile", au propre comme au figuré. Surtout lorsque ces ouailles ont un niveau d'éducation aux antipodes du théologien et érudit qui leur parle du haut de sa chaire papale. J'ai envie de crier : "Au secours, Jesus! Reviens !"

BÉNOIT XVI AURAIT EXCOMMUNIÉ JÉSUS EN PERSONNE

Si je ne m’attends pas à ce qu’un pape cautionne les mœurs qui s’inscrivent en rupture avec la foi dont il est le garant spirituel, je me demande néanmoins si Benoît XVI, en raison de ce que M. Juppé qualifie d'« autisme total», n’aurait pas excommunié Jésus en personne s’il avait vécu en 2009, tellement leurs styles semblent dichotonomiques. En effet, qu'il suffise de citer l'épisode où Jésus refuse de condamner une femme adultère, qui, selon la Loi, doit être lapidée, et lance aux ultralégalistes de son époque : "Que celui qui n'a jamais péché jette la première pierre" (Jean, 8). Lui-même a plusieurs fois transgressé la loi religieuse lorsque les circonstances de l’espèce l’exigeaient, en particulier pour venir en aide aux malades, justement. Dostoïevski avait imaginé que si Jésus était revenu dans l'Espagne de Torquemada, il aurait été condamné au bûcher pour avoir prêché la liberté de conscience. Je me demande donc, dans l'Église de Bénoît XVI, s'il ne serait pas excommunié pour avoir prôné le dépassement de la loi par l'amour du prochain. Un disciple de loin plus zélé que son maître, un pape visiblement plus chrétien que le Christ en personne. Allez-y donc comprendre !
Ce qui est sûr, c’est que les prises de positions de ce pape qui marquera sans doute l'histoire à sa manière, qu’elles relèvent de vraies bourdes ou d’un autisme assumé au nom de la préservation d’une foi menacée autant par la modernité que par une mondialisation capitaliste jugée déshumanisante, risquent d'être autant de remèdes pires que les maux contre lesquels ils sont censés être prescrits. Pas seulement pour les Africains, mais avant tout pour une Église malade de son incapacité avérée à vivre avec son temps. À moins que le Maître ne revienne vite mettre lui-même fin à cette "sainte confusion " ?

dimanche 8 mars 2009

COLETTE BRAECKMAN RÉVÈLE LA MAIN SECRÈTE DE BARACK OBAMA DANS LA TOURNURE DU CONFLIT RWANDO - CONGOLAIS

S'il est des journalistes occidentaux dont l'épithête de Spécialiste de l'Afrique des Grands Lacs est loin d'être usurpée, Colette Braeckman, la journaliste et grand reporter du Soir de Bruxelles en est une. Auteure de plusieurs ouvrages sur cette région tumultueuse du continent africain, celle qui a réussi - y a-t-il meilleur signe de professionnalisme ? - de se faire taxer à la fois de pro-congolaise et de pro-rwandaise par les deux camps d'un conflit qui n'a pas fini de déchaîner les passions, revèle à ses lecteurs les dessous des cartes du rechauffement spectaculaire des relations entre Kigali et Kinshasa dans les semaines qui ont précédé l'entrée à la Maison Blanche de Barack Obama. Je vous laisse découvrir, in extenso, le texte qu'elle vient de publier, lequel met en lumière l'ombre du nouveau Président Américain dans le développement, sur fond de polémique, du règlement du différend congolo-rwandais :
CONGO - RWANDA : LE PREMIER SUCCÈS DIPLOMATIQUE DE BARACK OBAMA - Par Colette Braeckman
Avec effusion, des officiers congolais prennent congé de James Kabarebe, le chef d’état major rwandais, hier encore considéré comme l’ennemi numero un. Des journalistes rwandais invités à Goma fraternisent avec leurs collègues congolais. Les deux pays vont échanger des ambassadeurs, normaliser leurs relations. Et surtout, le Rwanda garde en détention Laurent Nkunda, séquestré dans une résidence de Gisenyi, tandis que les Congolais assurent aux combattants hutus qui campent sur leur territoire depuis quinze ans que « le temps de l’hospitalité est terminé » et qu’ils sont bien résolus à les forcer au retour. Même si les opérations ne sont pas terminées, 1300 combattants et 4000 civils ont déjà été rapatriés au Rwanda et chaque jour le HCR enregistre de nouveaux candidats au retour. Ce virage à 180 degrés, qui permet enfin d’espérer le retour de la paix dans les Grands Lacs, n’a pas fini de surprendre les Européens et il passera peut –être à l’histoire comme le premier succès diplomatique de Barack Obama.
En juillet 2008, les signes annonciateurs d’une nouvelle guerre se multiplient : les hommes de Nkunda se sont retirés du processus de paix, à Kinshasa les Tutsis dénoncent l’exclusion dont ils seraient victimes. Une délégation de la société civile congolaise décide alors de se rendre à Washington et de tirer les leçons de l’échec patent des processus en cours : la « tripartite plus », la « facilitation internationale », la conférence sur la sécurité dans la région des Grands Lacs… Prenant la température politique des Etats Unis, où les chances de succès d’Obama augmentent, les Congolais prennent alors contact avec le staff du candidat démocrate. Bientôt rejoints par Mgr Maroy, l’archevèque de Bukavu, ils s’entretiennent longuement avec un certain Emmanuel Rahm, qui deviendra chef de campagne puis directeur de cabinet d’Obama, avec John Swain, ancien conseiller politique à l’Ambassade US de Kinshasa, chargé des affaires africaines au Département d’Etat, avec un représentant de l’USAID, sans oublier Howard Wolpe, ancien envoyé spécial de Bill Clinton pour les Grands Lacs. Les représentants de la société civile dénoncent les violences faites aux femmes, la reprise de la guerre qui semble imminente, ils soulignent le pillage des ressources et rappellent que le site de Walikale ne contient pas seulement du coltan, mais qu’on y trouve aussi de l’uranium tandis que la mine de Lueshe contient d’importants gisements de niobium, qu’on appelle aussi « pyrochrore ». Ils soulignent la menace que représenterait une « somalisation » de l’Est du Congo, qui pourrait tomber aux mains d’intérêts mafieux et relèvent que lors de plusieurs interviews, et notamment dans le documentaire de Patrick Forestier : « du sang dans nos portables », sorti en décembre 2007, Laurent Nkunda a déclaré « j’ai des Arabes avec moi »… Surpris, les Congolais découvrent des interlocuteurs très informés. Emmanuel Rahm leur rappelle que le sénateur Obama, qui suit de près la question déjà envoyé quatre documents au Sénat américain à propos du Congo et adressé une lettre à Condolezza Rice sur la question de la guerre et des violences sexuelles dans ce pays. Les Américains se disent très préoccupés par deux mouvements qu’ils considèrent comme terroristes, la LRA (armée de résistance du Seigneur) en Ouganda, dont les combattants sont réfugiés dans le parc de la Garamba, et les FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda). Les Congolais les persuadent aussi du danger que représente Nkunda. A l’issue de ces entretiens, ils sont à leur tour convaincus d’un autre impératif : la nécessité de normaliser les relations avec le Rwanda. Ils décident de porter ce message à Kinshasa.
Depuis Bruxelles, Louis Michel (Commissaire européen au développement et à l'aide humanitaire, ndlr) plaide dans le même sens, et essaie depuis longtemps de relancer la conférence économique des pays des grands lacs, mais Kigali se tourne vers l’Afrique de l’Est tandis qu’à Kinshasa la méfiance prévaut. Les réticences des Congolais sont d’autant plus vives que le 28 août, la guerre reprend. Les défaites de l’armée congolaise sont cinglantes, et le 29 octobre, Nkunda menace de s’emparer de Goma. Il en sera dissuadé par le Rwanda, non seulement parce que le président Kagame estime que le général rebelle va trop loin, mais aussi parce que les Américains interviennent. Prendre Goma signifierait d’ailleurs chasser la MONUC et marquerait l’échec cuisant de la Communauté Internationale ! Louis Michel de son côté se précipite à Kinshasa durant le week end de Toussaint, il encourage une rencontre à Nairobi le 07 novembre 2008 , entre deux hommes qui ne se sont plus parlés depuis des mois, les présidents Kagame et Kabila (ci-dessus à droite, ndlr). En présence de plusieurs chefs d’Etat africains, les griefs sont déballés de part et d’autre. Un processus de négociation entre les autorités congolaises et le CNDP se met alors en place sous la houlette de l’ancien président du Nigeria Olusegun Obasanjo, appuyé par l’administration Bush, et par Benjamin Mkapa, l’ancien président tanzanien soutenu par l’Union africaine. Les Congolais découvrent que parmi les conseillers de ces deux hommes figurent des personnalités qui ont été impliqués dans le processus de paix au Sud Soudan, qui mènera probablement à l’indépendance de la province. Au cours des négociations, il est question de révision des frontières et d’un changement de constitution. Les exemples du Sud Soudan, de Zanzibar, voire du Kosovo sont régulièrement cités. Le président Kabila fait savoir à ses émissaires que, s’il accepte de discuter des problèmes du Kivu, et en particulier des Tutsis, il n’est pas question de toucher à la Constitution, aux institutions de la république et encore moins aux frontières du pays.
Pendant que les rounds de négociation se poursuivent à Nairobi, encouragées par les Européens, une autre diplomatie s’active dans les coulisses. Les Américains insistent, ils rappellent que depuis deux ans au moins ils ont déclaré que les seuls à pouvoir « faire le sale boulot », c’est-à-dire inciter les FDLR à quitter le Congo, ce sont les Rwandais eux-mêmes car eux seuls en ont la motivation et les moyens. A ce même moment, rappelons que les Angolais, pressentis pour intervenir au Kivu, se défilent tandis que les Européens tergiversent et renonceront finalement à envoyer une force intermédiaire qui permettrait d’attendre les 3000 hommes qui doivent venir en renfort pour la Monuc. Plus que jamais, les Américains plaident en faveur d’ un rapprochement entre Kagame et Kabila, un langage que tient également Louis Michel. Dès le lendemain de son élection, Obama appelle les deux chefs d’Etat. Son message est clair : une solution doit être trouvée, de préférence avant son investiture. Il faut mettre fin au problème des FDLR qui empoisonne la région depuis quinze ans, il faut aussi mettre la LRA hors d’état de nuire. Reste alors à activer une diplomatie secrète entre les deux capitales ; du côté congolais, le général John Numbi, un homme de confiance du président, est à la manœuvre et se rend plusieurs fois à Kigali, à la tête de très discrètes délégations, surtout composées de Katangais, dont Katumba Mwanke. Quant à Kagame, il envoie à Kinshasa son chef d’état major, James Kabarebe, qui s’entretient longtemps avec un Joseph Kabila qu’il connaît depuis 1996. A la surprise de Kinshasa, James, au lieu d’aborder tout de suite la question des FDLR, explique le souci que Laurent Nkunda représente pour Kigali : il mène campagne dans les camps de réfugiés congolais au Rwanda, flirte avec la francophonie, critique les anglophones du Rwanda et attire sur Kigali les foudres de plusieurs pays (Pays Bas, Norvège, Suède) qui menacent de suspendre leur coopération tandis que les Britanniques eux-mêmes exercent de sérieuses pressions. Une double décision est prise alors : entamer une opération conjointe pour provoquer le retour des combattants hutus, mais surtout neutraliser Laurent Nkunda. Un interlocuteur rwandais nous confirme « le sort d’un individu ne pèse pas devant les raisons de deux Etats. » Reste à convaincre les officiers du CNDP. Le général Bosco Ntaganda est « retourné », car une vieille rivalité oppose cet homme originaire du Masisi à Laurent Nkunda qui est de Rutshuru. James Kabarebe pèse dans la balance : il convoque l’état major du CNDP, et déclare en swahili « vous allez signer, suivre Bosco. Sinon, le jour où vous me chercherez vous ne me trouverez plus… » Chacun comprend que c’est une question de vie ou de mort et l’état major bascule. Après s’être entretenu avec James, Kabila prend une décision à hauts risques politiques : il laissera entrer l’armée rwandaise sur le sol congolais et cela avant l’investiture d’Obama. Le 19 janvier, veille de l’expiration de l’ultimatum américain, les premières unités de l’armée rwandaise passent la frontière à Kibumba et Kibati. Leur mission officielle est la traque des FDLR. Mais auparavant elles ont un autre objectif à atteindre : neutraliser les trois bataillons demeurés fidèles à Nkunda, dont l’un est composé de démobilisés du Burundi.
Lorsque les troupes rwandaises arrivent au Kivu et font leur jonction avec les hommes commandés par le général Numbi, les derniers fidèles des Nkunda comprennent qu’ils n’ont pas le choix : ils rejoignent les forces coalisées et sont immédiatement envoyés en opération. Au même moment, l’armée congolaise, dans le Nord du pays, est engagée dans une opération similaire avec l’armée ougandaise, contre les rebelles de la LRA. Les conséquences de ce retournement inouï de la donne sont immédiates : signature de la cessation de la guerre, récupération des territoires anciennement sous contrôle du CNDP. Entre temps, les négociations de Nairobi sont « délocalisées » à Goma, la nouvelle direction politique du CNDP ayant déclaré vouloir traiter directement « entre Congolais » avec le gouvernement, sans « interprètes » ; la Monuc et les autres instances internationales sont prises de court, n’ayant pas été « consultées » lors de la prise des décisions. Alors que durant des mois les médiateurs et autres facilitateurs internationaux ont rencontré sans broncher Laurent Nkunda et son chef d’état major Bosco Ntaganda, ils s’avisent soudain que ce dernier est visé par un mandat d’arrêt international et boycottent les réunions où assiste celui qui facilite l’intégration du CNDP dans l’armée et la fin des hostilités; la facilitation internationale se plaint d’avoir été court circuitée et Obasanjo qui se voyait sans doute en place pour plusieurs années proteste jusqu’à New York…
Entretemps à Kinshasa, la classe politique se divise et une crise au sein de l’AMP prend des allures inquiétantes à cause des déclarations faites par le Président du Parlement Vital Kamerhe le jour où les troupes rwandaises sont entrées au Congo, il n’accepte pas de ne pas avoir été informé d’une opération qui, pour réussir, devait obligatoirement demeurer secrète. Désireux d’apaiser une opinion échauffée, le Président Kabila informe les responsables des institutions, et, alors que ce n’ est pas dans ses habitudes, rencontre à Kinshasa la presse nationale et internationale, l’informant des tenants et aboutissants du processus en cours… Désireux de faire comprendre la nouvelle donne aux populations de l’Est, violemment hostiles à l’entrée de l’armée rwandaise, le président accorde, en swahilli, une longue interview, au micro de l’Abbé Jean Bosco BAHALA, président des Radios communautaires du Congo,un des acteurs-clé, avec l’Abbé Malu-Malu, du processus de paix.

Depuis lors, les troupes du CNDP sont pratiquement intégrées dans les FARDC, les autres Groupes armés ont décidé de rejoindre sans atermoiement le processus, les troupes rwandaises ont été raccompagnées à la frontière au milieu d’une foule très chaleureuse, Kabila et Museveni se sont rencontrés à Kassindi, à la frontière entre le Congo et l’Ouganda. Désormais, on n’attend plus que la signature à Goma de l’Accord Global entre le Gouvernement, le CNDP et le Groupes Armés, ainsi que la réouverture de la CEPGL et des Ambassades entre le Rwanda et la RDC. Pour couronner le tout, les Etats-Unis viennent de promettre au Congo une aide impressionnante, qui dépasse de loin les budgets européens… Si le président Obama fait escale à Kinshasa lors d’une prochaine tournée africaine, on peut déjà imaginer l’accueil qui lui sera réservé…

Je trouve cet éclairage de Colette Braeckman assez instructif mais dans un conflit où les populations de l'Est du Congo ont assisté à de nombreuses reprises aux lendemains qui déchantaient, je préfère attendre de voir où tout cela va mener. Si l'implication de la nouvelle administration dirigée par Barack Obama rompt effectivement avec le soutien inconditionnel que les deux précédentes administrations ont apporté à Kigali et à Kampala depuis 1996, alors peut-être assisterons-nous enfin au retour tant attendu d'une paix durable entre des peuples condamnés par le destin à vivre en harmonie, pour qu'enfin commence la seule battaille qui vaille la peine dans cette région du monde : celle du développement dans la démocratie.

mercredi 4 mars 2009

CRIMES AU DARFOUR : CONTROVERSE AUTOUR DU MANDAT D'ARRÊT LANCÉ PAR LA CPI CONTRE LE PRÉSIDENT SOUDANAIS

Le Statut de Rome le prévoyait dès 1998, mais au sein de la communauté internationale et même parmi les juristes les plus « progressistes », on se demandait si la Cour Pénale Internationale afficherait réellement son indépendance vis-à-vis du fait politique au point de franchir un jour le Rubicon : lancer les poursuites et inculper un Chef d’État en exercice pour crimes de guerre, crime de génocide ou crimes contre l’humanité. Ce mercredi 4 mars 2009, à La Haye, le Parquet de la CPI que dirige Luis Moreno-Ocampo a écrit une nouvelle page de l’histoire de la justice pénale internationale en lançant un mandat d’arrêt contre le Général Omar Al-Bachir (photo en médaillon), le « Saigneur » du Sud-Soudan, Grand Dictateur devant Allah ! Entre les cris d’Orfraie de certains de ses pairs – à qui le Président de la Commission Africaine, le Gabonais Jean Ping apporte sa caution – et les inquiétudes de ses amis Russes qui par la bouche de Dimitri Medvedev se disent préoccupés par un « dangereux précédent », je voudrais ici réponde rapidement à deux questions :

1) La CPI verse-t-elle dans une dérive anti-Africaine en ne poursuivant que des Africains (accusations de J. Ping et du Président Sénégalais Abdoulaye Wade, entre autres) ?
D’abord, une Vérité de la Palice : pour renforcer sa crédibilité, la CPI ne pourra pas faire l’impasse sur les crimes de mêmes qualifications commis ailleurs, dans les limites de ses compétences rationae personae et rationae temporis. Elle ne pourra pas se le permettre, elle n’aura pas d’alternative. Son Procureur a déjà abondé dans ce sens à plusieurs occasions. Laissons-lui donc le temps.
- Non, ce n’est pas la CPI qui a contraint la République Démocratique du Congo, pays africain dont deux ressortissants sont actuellement poursuivis à La Haye, de la rendre compétente vis-à-vis de ses nationaux en ratifiant le Statut de Rome. Précisons toutefois que cette assertion ne serait pas valable pour le cas Omar Al-Bachir, le Soudan n’étant pas un État partie audit Statut. En fait, alors que les poursuites lancées contre l'ancien chef de milice congolais Thomas Lubanga résultaient d'une demande expresse de la RDC en direction de La Haye, la saisine de la CPI concernant le Darfour a été décidée par le Conseil de sécurité de l'ONU dans sa résolution 1593 (2005). Celle-ci constatait que la situation au Soudan continuait de faire peser une menace sur la paix et la sécurité internationales, ce qui suffisait, conformément au Statut de Rome (voir article 18), à la faire tomber sous la compétence de la Cour.
- Non, ce n’est pas parce que d’autres criminels présumés se la coulent encore douce sous d’autres cieux qu’il faille, là où la justice nationale s'avère incapable d'opérer contre les auteurs présumés des crimes évoqués alors que se poursuivent les violations les plus graves des droits de l'homme, surseoir le déclenchement des poursuites jusqu’à ce que la Cour se soit penchée de façon « égalitaire » sur les crimes présumés des Américains, des Européens , des Asiatiques et des Océaniens.
- Non, il ne s’agit pas, alors pas du tout, de jouer les équilibristes avec les origines des criminels présumés, sous prétexte de satisfaire le « politiquement correct », au risque de cracher sur la mémoire des victimes de ces crimes, Noires ou Rouges soient-elles. L'Afrique a souffert et souffre encore, il faut l'admettre, de beaucoup d'ingérences néfastes des puissances occidentales. Mais comment ne pas observer que les mêmes voix qui se lèvent contre la décision de la CPI sont aussi et avant tout celles de ces dirigeants corrompus qui tirent profit d'opaques combines Nord - Sud pour se maintenir au pouvoir contre le gré de leurs peuples, d'un bout à l'autre du continent ?
- Non, une pseudo-paix qui se gagnerait au prix de l’impunité pour des crimes aussi gravissimes est tout sauf ce dont l’Afrique a besoin pour conjurer les vieux démons de l’autoritarisme et de l’absolutisme qui sont les principales entraves au développement de ce continent ! Car si le crime de génocide devait être soluble dans une supposée "recherche de la cohésion nationale", pourquoi d'autres Omar Al-Bachir, aux quatre coins du monde, devraient-ils hésiter une seule seconde avant d'envoyer leurs apprentis sorciers semer la mort et la désolation pour des milliers de civils sans défense ?

2) La question de l’absence d'immunités étant réglée par le Statut de Rome, Omar Al-Bachir, Chef de l’État du Soudan, peut-il être tenu pour pénalement responsable des faits commis par les miliciens Janjawid et des unités de son armée, une décennie durant, dans la région du Darfour ?
Si l’intéressé s’en défend et nargue la CPI depuis son palais de Khartoum, d’anciens exécutants de ces crimes délient les langues dans un implacable acte d’accusation que l’ONG « Aegis Trust » a rassemblé dans un reportage de 20 minutes que j’ai voulu vous faire partager. Je mets au défi les thuriféraires de la « fierté africaine » de regarder et d’entendre tout cela et de se contenter ensuite de dire : « C’est quoi, cette justice de Blancs qui ne s’attaque qu’aux Africains ? ». Regardez donc, c’est ici :

Autant je m’indigne contre les entraves juridiques et extra-juridiques à la poursuite des criminels qui se sont rendus coupables des pires atrocités en Irak, à Guantanamo, à Gaza, dans le Caucase, en Colombie ou ailleurs, autant je me réjouis qu’un homme qui s’est cru au-dessus de toutes les lois du monde au point d’avoir droit de vie et de mort sur ses semblables ait à répondre devant les juges de ce qui lui est reproché. Quant aux autres, à moins qu’ils puissent être maîtres du temps, qui sait de quoi demain sera fait ?
Ce matin, un de mes étudiants, cadre dans un ministère fédéral canadien, m'a demandé si la décision de la CPI "ne serait pas vue par les Africains comme un acte délibérément dirigé contre eux". Je lui ai répondu que le tout dépendait de "quels Africains" il parlait. Nous n'avons toutefois pas discuté du sujet, je devais partir. S'il lit les lignes qui précèdent, j'ose espérer qu'il comprendra mieux le sous-entendu de ma réponse qui a dû lui sembler énigmatique.