POURQUOI JE M'EN MÊLE ...

"NOUS SOMMES TOUS SOURDS QUAND CELA ARRANGE NOTRE BONHEUR. CELA REPOSE UN PEU DE NE PAS TOUT ENTENDRE" - Tahar Ben Jelloun

mercredi 4 mars 2009

CRIMES AU DARFOUR : CONTROVERSE AUTOUR DU MANDAT D'ARRÊT LANCÉ PAR LA CPI CONTRE LE PRÉSIDENT SOUDANAIS

Le Statut de Rome le prévoyait dès 1998, mais au sein de la communauté internationale et même parmi les juristes les plus « progressistes », on se demandait si la Cour Pénale Internationale afficherait réellement son indépendance vis-à-vis du fait politique au point de franchir un jour le Rubicon : lancer les poursuites et inculper un Chef d’État en exercice pour crimes de guerre, crime de génocide ou crimes contre l’humanité. Ce mercredi 4 mars 2009, à La Haye, le Parquet de la CPI que dirige Luis Moreno-Ocampo a écrit une nouvelle page de l’histoire de la justice pénale internationale en lançant un mandat d’arrêt contre le Général Omar Al-Bachir (photo en médaillon), le « Saigneur » du Sud-Soudan, Grand Dictateur devant Allah ! Entre les cris d’Orfraie de certains de ses pairs – à qui le Président de la Commission Africaine, le Gabonais Jean Ping apporte sa caution – et les inquiétudes de ses amis Russes qui par la bouche de Dimitri Medvedev se disent préoccupés par un « dangereux précédent », je voudrais ici réponde rapidement à deux questions :

1) La CPI verse-t-elle dans une dérive anti-Africaine en ne poursuivant que des Africains (accusations de J. Ping et du Président Sénégalais Abdoulaye Wade, entre autres) ?
D’abord, une Vérité de la Palice : pour renforcer sa crédibilité, la CPI ne pourra pas faire l’impasse sur les crimes de mêmes qualifications commis ailleurs, dans les limites de ses compétences rationae personae et rationae temporis. Elle ne pourra pas se le permettre, elle n’aura pas d’alternative. Son Procureur a déjà abondé dans ce sens à plusieurs occasions. Laissons-lui donc le temps.
- Non, ce n’est pas la CPI qui a contraint la République Démocratique du Congo, pays africain dont deux ressortissants sont actuellement poursuivis à La Haye, de la rendre compétente vis-à-vis de ses nationaux en ratifiant le Statut de Rome. Précisons toutefois que cette assertion ne serait pas valable pour le cas Omar Al-Bachir, le Soudan n’étant pas un État partie audit Statut. En fait, alors que les poursuites lancées contre l'ancien chef de milice congolais Thomas Lubanga résultaient d'une demande expresse de la RDC en direction de La Haye, la saisine de la CPI concernant le Darfour a été décidée par le Conseil de sécurité de l'ONU dans sa résolution 1593 (2005). Celle-ci constatait que la situation au Soudan continuait de faire peser une menace sur la paix et la sécurité internationales, ce qui suffisait, conformément au Statut de Rome (voir article 18), à la faire tomber sous la compétence de la Cour.
- Non, ce n’est pas parce que d’autres criminels présumés se la coulent encore douce sous d’autres cieux qu’il faille, là où la justice nationale s'avère incapable d'opérer contre les auteurs présumés des crimes évoqués alors que se poursuivent les violations les plus graves des droits de l'homme, surseoir le déclenchement des poursuites jusqu’à ce que la Cour se soit penchée de façon « égalitaire » sur les crimes présumés des Américains, des Européens , des Asiatiques et des Océaniens.
- Non, il ne s’agit pas, alors pas du tout, de jouer les équilibristes avec les origines des criminels présumés, sous prétexte de satisfaire le « politiquement correct », au risque de cracher sur la mémoire des victimes de ces crimes, Noires ou Rouges soient-elles. L'Afrique a souffert et souffre encore, il faut l'admettre, de beaucoup d'ingérences néfastes des puissances occidentales. Mais comment ne pas observer que les mêmes voix qui se lèvent contre la décision de la CPI sont aussi et avant tout celles de ces dirigeants corrompus qui tirent profit d'opaques combines Nord - Sud pour se maintenir au pouvoir contre le gré de leurs peuples, d'un bout à l'autre du continent ?
- Non, une pseudo-paix qui se gagnerait au prix de l’impunité pour des crimes aussi gravissimes est tout sauf ce dont l’Afrique a besoin pour conjurer les vieux démons de l’autoritarisme et de l’absolutisme qui sont les principales entraves au développement de ce continent ! Car si le crime de génocide devait être soluble dans une supposée "recherche de la cohésion nationale", pourquoi d'autres Omar Al-Bachir, aux quatre coins du monde, devraient-ils hésiter une seule seconde avant d'envoyer leurs apprentis sorciers semer la mort et la désolation pour des milliers de civils sans défense ?

2) La question de l’absence d'immunités étant réglée par le Statut de Rome, Omar Al-Bachir, Chef de l’État du Soudan, peut-il être tenu pour pénalement responsable des faits commis par les miliciens Janjawid et des unités de son armée, une décennie durant, dans la région du Darfour ?
Si l’intéressé s’en défend et nargue la CPI depuis son palais de Khartoum, d’anciens exécutants de ces crimes délient les langues dans un implacable acte d’accusation que l’ONG « Aegis Trust » a rassemblé dans un reportage de 20 minutes que j’ai voulu vous faire partager. Je mets au défi les thuriféraires de la « fierté africaine » de regarder et d’entendre tout cela et de se contenter ensuite de dire : « C’est quoi, cette justice de Blancs qui ne s’attaque qu’aux Africains ? ». Regardez donc, c’est ici :

Autant je m’indigne contre les entraves juridiques et extra-juridiques à la poursuite des criminels qui se sont rendus coupables des pires atrocités en Irak, à Guantanamo, à Gaza, dans le Caucase, en Colombie ou ailleurs, autant je me réjouis qu’un homme qui s’est cru au-dessus de toutes les lois du monde au point d’avoir droit de vie et de mort sur ses semblables ait à répondre devant les juges de ce qui lui est reproché. Quant aux autres, à moins qu’ils puissent être maîtres du temps, qui sait de quoi demain sera fait ?
Ce matin, un de mes étudiants, cadre dans un ministère fédéral canadien, m'a demandé si la décision de la CPI "ne serait pas vue par les Africains comme un acte délibérément dirigé contre eux". Je lui ai répondu que le tout dépendait de "quels Africains" il parlait. Nous n'avons toutefois pas discuté du sujet, je devais partir. S'il lit les lignes qui précèdent, j'ose espérer qu'il comprendra mieux le sous-entendu de ma réponse qui a dû lui sembler énigmatique.

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