POURQUOI JE M'EN MÊLE ...

"NOUS SOMMES TOUS SOURDS QUAND CELA ARRANGE NOTRE BONHEUR. CELA REPOSE UN PEU DE NE PAS TOUT ENTENDRE" - Tahar Ben Jelloun

mardi 24 août 2010

"BANANARISATION RAMPANTE" OU QUAND LE NORD PERD LE NORD


On aurait pu croire qu’en bon début du XXIème siècle, ce sport-là était abandonné aux circonvolutions des républiques bananières d’Afrique et d’ailleurs. Qu’une horde de noirs issus des townships sud-africains créent l’émoi de l’opinion internationale en lynchant de paisibles petits commerçants et ouvriers zimbabwéens venus chercher bonheur au pays du vrai-faux miracle postapartheid, ça passait encore. Les Africains, ces grands enfants qui « refusent d’entrer dans l’Histoire » (dixit un président européen qui préfère souvent l’ouvrir avant de réfléchir), ne seraient même pas foutus d’offrir gîte et bout de pain à leurs « frères ». Cela devrait-il étonner ?

Mais qu’arrive-t-il donc aux maîtres de ce bas-monde, tous grands donneurs de leçons des droits de l’Homme devant l’Eternel ? Que leur arrive-t-il de se comporter, vis-à-vis des étrangers sur leur sol, comme de vrais salauds ? Auraient-ils perdu le nord, ces bonnes âmes du Nord si promptes à monter en épingles les dérives totalitaires des potentats du Sud ? Du Texas à l’Ile-de-France, de Santa Fe à Naples, telle une faille tectonique, l’hydre xénophobe quitte le maquis du politiquement incorrect pour se draper des apparats du pouvoir étatique. On parle de « droites décomplexées ». Tellement décomplexées qu’elles oublient, comme en France, que naguère la bannière de la patrie fut estampillée « terre des droits de l’Homme ». Autres temps, autres mœurs. Vite oubliée, l'affaire Dreyfus. Désormais enfouie, la rafle du Vel' d'Hiv et j'en oublie...


A coup de lois dignes des périodes les plus sombres de l’Occident contemporain, à coup de déclarations politiques qui font froid dans le dos plus qu’elles ne rassurent des peuples qui croient de moins en moins en leurs dirigeants, voilà les hommes et femmes politiques des démocraties du Nord qui s’en vont en guerre contre les métèques. Ces derniers ont pour noms « Mexicains » au pays de Sarah Palin, « Musulmans », « Noirs » ou « Roms » aux pays de Sarkozy ou de Berlusconi. Aux uns on promet le retour forcé au pays d’origine après contrôle de faciès, aux autres on annonce la déchéance prochaine d’une nationalité qu’on aurait jamais dû leur concéder, tant leur identité cancéreuse est en soi une injure à l’Inviolable République. On agite des peurs, on manipule les esprits faibles et Dieu sait s’il y en a dans ces Etats qui se targuent, à juste titre d’ailleurs, d’avoir gagné la bataille de l’alphabétisation. Dans ces républiques, en effet, l’école est gratuite depuis des lustres. Pour faire simple, disons que tous les citoyens y sont instruits. L’obscurantisme sous-jacent à l’illettrisme, on ne connaît pas. Il en sort quoi cependant ? Des pauvres gens à qui on fait croire que tous les maux contre lesquels ils se battent et que n’arrivent pas à résoudre leurs élus ont une seule et unique origine : l’étranger. Le pire ? Ceux qui achètent cette pourriture qu'on veut faire passer pour de la politique se comptent par millions. Triste ? Non, inquiétant. L'Histoire pourrait bégayer, elle sait très bien le faire.

L’heureuse exception canadienne

Heureusement, des îlots de tolérance, voire de multiculturalisme serein existent ici et là. Vivant au Canada depuis un peu plus de trois ans aujourd’hui, je ne peux que faire une fière chandelle aux hommes et femmes de ce pays. Un pays qui peut se targuer de ne pas afficher dans son paysage politique ce que l’on nomme ailleurs « l’extrême-droite ». Je n’ai pas vu ici de Jean-Marie Lepen ni de Geert Wilder ; je n’ai entendu vociférer ni Umberto Bossi ni Filip Dewinter. Je n’ai pas croisé sur les routes du Québec ou de l’Ontario une armée d’agités du bocal accusant libéraux et conservateurs d’avoir dilué « l’identité canadienne » dans le flot d’immigrants qui arrivent chaque année par millions. Non, la proximité avec le géant étasunien n’a pas eu pour conséquence de créer un effet domino cauchemardesque outre-Niagara. A preuve, le mouvement de « Tea party » cher à Glenn Beck et Fox News n’a pas fait d’émules dans le pays qui a élevé une femme noire née à Jacmel (Haïti) et mariée à un sujet Français, à la plus haute et prestigieuse fonction régalienne qui soit – J’ai cité la Gouverneure générale Michaëlle Jean. Il m’a semblé opportun de saluer ce fait, au moment où il ne fait pas bon d’avoir des origines étrangères dans bien de démocraties occidentales. Je ne suis pas assez dupe pour croire que l’exception canadienne soit un acquis éternel ni qu’elle puisse perdurer sans la vigilance citoyenne, sans la contribution active de tous ceux qui participent au vouloir vivre ensemble qui règne dans ce pays-continent. Mais je ne peux m’empêcher de souhaiter que cette démocratie de mon nouveau pays d’adoption, aussi imparfaite qu’elle soit, donne des idées à ceux qui semblent en chercher du mauvais côté. Puisse-t-elle inspirer les leaders de ces démocraties en proie à ce que j’appelle une « bananarisation rempante », lesquels pernnent le parti de masquer l’inefficacité de leur action politique par un écran de fumée nommé « les étrangers ».