POURQUOI JE M'EN MÊLE ...

"NOUS SOMMES TOUS SOURDS QUAND CELA ARRANGE NOTRE BONHEUR. CELA REPOSE UN PEU DE NE PAS TOUT ENTENDRE" - Tahar Ben Jelloun

mardi 28 décembre 2010

Le "Coup d'État" de Gbagbo scruté par le professeur Francis Wodié


« L’attitude de Gbagbo est un coup d’Etat »

Eminent constitutionnaliste ivoirien, le professeur Francis Wodié donne dans cette analyse assez remarquée son point de vue sur la crise qui secoue son pays. Au-delà de l’acteur politique, c’est le juriste qui souligne plutôt avec maestria à quel point la démarche rocambolesque du dictateur Laurent Gbagbo est une imposture digne des républiques bananières. J'ai voulu le partager, à chacun d’apprécier.

Après plusieurs reports depuis 2005, l'élection présidentielle, donnée comme la porte de sortie de la crise, a pu, enfin, se tenir, le 31 octobre 2010 pour le 1er tour et le 28 novembre 2010 pour le second tour. Les résultats proclamés par la Commission Électorale Indépendante, confirmés par le "certificateur", donnent M. Alassane OUATTARA vainqueur, avec 54,10 % des suffrages exprimés, face à M. Laurent GBAGBO, crédité de 45,90 % des voix. Quant au Conseil constitutionnel, après avoir, comme par hasard, annulé, sans discernement, le scrutin dans sept départements du Centre et du Nord, sur requête du candidat Laurent GBAGBO, il a proclamé celui-ci élu avec 51,45 % des voix contre 48,55 % au candidat Alassane OUATTARA, inversant de son seul chef les résultats fournis par la CEl. La Côte d`Ivoire, déjà meurtrie, les Ivoiriens, déjà épuisés et ruinés par une crise sans fin, se retrouvent en présence «de deux chefs d'État investis» et ayant constitué leur Gouvernement, donnant ce monstre de bicéphalisme qui est à l'origine des affrontements sanglants que connaît depuis le pays. Le Parti Ivoirien des Travailleurs (PIT) ne peut se taire, face à une telle situation qui menace d'un péril certain la Nation tout entière.


I-SUR LES RESULTATS DU SCRUTIN


Tout est parti de là : quels sont les vrais résultats du scrutin et, par conséquent, qui en est le vainqueur ? L'observation et l'analyse des faits, à la lumière des textes régissant l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire, amènent à constater, d'une part, la validité des résultats proclamés par la Commission Électorale Indépendante (CEI) et certifiés par le Représentant Spécial du Secrétaire Général de l'ONU et, d'autre part, le caractère irrégulier et surréaliste de la décision du Conseil Constitutionnel. La validité des résultats proclamés par la CEI et certifiés par le Représentant spécial du Secrétaire Général de l'ONU.


1- La validité des résultats proclamés par la CEI

Il est constant qu'au regard de la Constitution (art. 38) et de l'ordonnance portant ajustements au code électoral (art. 59), la CEI est compétente pour proclamer les résultats provisoires de l'élection présidentielle. Ce point n'est pas contesté. Ce qui, au contraire, fait débat, se rapporte au moment et au lieu où la proclamation des résultats est intervenue. D'abord, la date : le délai dans lequel la CEI doit agir n'apparaît pas avec toute la clarté souhaitable. Toutefois, en interprétant les textes et en ne perdant pas de vue le précédent né du 1er tour de l'élection présidentielle, on doit admettre que la CEI avait à (devait) proclamer les résultats dans un délai de trois jours. La Commission n'a pu agir dans ce délai, ayant, comme chacun a pu le constater à la télévision, été empêchée de le faire par Messieurs DAMANA PICKAS et TOKPA, membres de la CEI pour le compte du camp présidentiel. Au regard du droit et même du simple bon sens, le camp présidentiel est mal-fondé à invoquer la forclusion qu'il a provoquée intentionnellement. Car, nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude (de sa propre faute), pour en tirer un avantage quelconque. Au surplus, existe le précédent né du 1er tour, lequel donne à constater que les résultats ont été proclamés au petit matin du 4ème jour suivant la clôture du scrutin, acceptés de tous, confirmés par le Conseil constitutionnel (qui n'avait guère parlé de forclusion) et certifiés par le Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies ; ce précédent autorise à affirmer que les résultats du second tour, donnés également au quatrième jour, doivent être tenus pour réguliers. Ensuite, le lieu : les résultats proclamés, non pas au siège de la CEI, mais plutôt au Golf Hôtel, seraient-ils frappés de nullité ? Pas du tout. Car, ayant l'obligation de proclamer les résultats, et physiquement empêché par les mêmes de le faire au siège de la CEI, le Président de ladite Commission n'avait pas le choix : à l'impossible nul n'est tenu. Enfin, la vraie question, par-delà la diversion tenant à la date et au lieu de la proclamation des résultats, est celle-ci : les résultats proclamés sont-ils, oui ou non, conformes à ceux contenus dans les procès-verbaux collectés et validés par les différents niveaux des Commissions électorales ? La réponse est sans équivoque : il résulte des procès-verbaux dont copie a été adressée à différentes autorités et au Conseil Constitutionnel que le candidat Alassane OUATTARA est le vainqueur de l'élection présidentielle. Et c'est parce qu'il en est ainsi que des problèmes ont été artificiellement suscités et entretenus. C'est dire que la Commission Électorale Indépendante (CEI), qui n'a pas pouvoir pour modifier les résultats issus des procès-verbaux mais plutôt l'obligation de les proclamer tels quels, après vérification de la régularité formelle des procès-verbaux, a fait son travail régulièrement, proprement, conformément aux exigences de la loi et de la démocratie et que, par suite, les résultats par elle proclamés sont valides.


2- La régularité de la certification

La certification est prévue par l'Accord de Pretoria de 2005, donc acceptée par les différentes parties engagées dans le processus de sortie de crise. Elle est confirmée et organisée par le Conseil de Sécurité des Nations Unies à travers la résolution 1765 adoptée en juillet 2007. Dans un contexte de suspicion généralisée et de déficit de confiance, la certification, voulue par les parties ivoiriennes, et donc par Laurent GBAGBO, a pour but d'éviter les contestations inutiles, en permettant d'avoir des élections "ouvertes, libres, justes, et transparentes" avec des résultats reconnus et acceptés en toute confiance et sérénité. La mise en œuvre de la certification a été confiée au Représentant Spécial du Secrétaire Général de l'Organisation des Nations Unies qui a déjà certifié, entre autres, la liste électorale et les résultats du le 1er tour de l'élection présidentielle, à la satisfaction générale. Et c'est la méthode par lui utilisée au 1er tour qui a servi pour la certification des résultats du second tour. C'est pourquoi, le PIT salue l'objectivité et l'honnêteté du Représentant Spécial du Secrétaire Général de l'ONU, et constate la régularité et la sincérité de la certification opérée. Il suit de ce qui précède que le camp Laurent GBAGBO n'est pas fondé à parler d'ingérence ou d'immixtion dans les affaires intérieures de la Côte d'Ivoire. L'ingérence, à la supposer établie, cesse d'en être, dès lors qu'elle est consentie par les autorités ivoiriennes dont la plus haute était Laurent GBAGBO, tout comme nous sommes allés chercher honteusement à Pretoria en 2005 l'autorisation d'user de l'article 48 de la Constitution ivoirienne. C'est donc à la demande expresse des Autorités ivoiriennes que la communauté internationale s'est impliquée financièrement, techniquement et matériellement autant que dans les domaines de l'arbitrage et de la certification. La certification bien que contraignante pour la souveraineté nationale mais voulue et placée à la fin de la procédure, postérieurement à la décision du Conseil Constitutionnel, s'offre comme la décision finale ; ceux qui l'ont voulue doivent s'y plier en toute bonne foi. Pour toutes ces raisons, le PIT ne peut comprendre ni accepter la position et la décision du Conseil Constitutionnel et tout le brouhaha suscité par cette certification.


3- Le caractère irrégulier et surréaliste de la décision du Conseil constitutionnel

Tout d'abord, le PIT se choque de la précipitation avec laquelle le Conseil Constitutionnel, qui disposait de sept jours pour dépouiller les 22.000 procès-verbaux et examiner le recours et les moyens invoqués par le candidat Laurent GBAGBO, a rendu sa décision le 3 décembre 2010 à 15 h30. On peut douter et on doute que les membres du Conseil Constitutionnel aient pu dépouiller tous les procès-verbaux en quelques heures. En effet, tout porte à croire que la décision du Conseil constitutionnel, qui s'étale sur de longues pages, était prête avant même la réception du dossier et qu'il ne s'était agi que d'apporter les adaptations à partir des instructions du candidat Laurent GBAGBO. En deuxième lieu, les violences et les irrégularités sur la base desquelles le Conseil Constitutionnel a invalidé globalement le scrutin dans sept départements du Centre et du Nord ne sont pas corroborées par les faits : les préfets affirment, au contraire, que le scrutin s'est déroulé de façon acceptable. Et puis, comment se fait-il que le Conseil Constitutionnel, si soucieux de justice, n'ait pas invalidé le scrutin dans les zones de l'Ouest où des troubles sérieux et des assassinats ont eu lieu avant et pendant le scrutin? Voudrait-on susciter de graves divisions de caractère régionaliste avec à la clé des conflits inter ethniques qu'on n'aurait pas procédé autrement. Enfin, la violation de la loi portant code électoral : son article 64 nouveau, alinéa 1er, tel que résultant de l'ordonnance de 2008 portant ajustements au code électoral, énonce : «Dans le cas où le Conseil Constitutionnel constate des irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat d'ensemble, il prononce l'annulation de l'élection et notifie sa décision à la Commission Électorale Indépendante qui en informe le Représentant Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies et le Représentant Spécial du Facilitateur à toutes fins utiles. La date du nouveau scrutin est fixée par décret pris en Conseil des Ministres sur proposition de la CEI. Le scrutin a lieu ou au plus tard 45 jours à compter de la date de la décision du C.C. ». Comment se fait-il alors, que privant le candidat Alassane OUATTARA de plus d'un demi million de voix sur la base d'irrégularités graves (article 64 nouveau du Code électoral en inversant ainsi les résultats, le Conseil Constitutionnel n'ait pas cru devoir appliquer la loi en annulant toute l'élection afin qu'on la reprenne conformément à la loi ? En imposant une telle obligation au Conseil Constitutionnel, celle d'annuler l'élection en pareil cas, la loi a voulu restituer au peuple souverain son droit de désigner souverainement ses représentants, ici le Président de la République. Le rappeler, c'est souligner qu'il n'appartient pas au Conseil Constitutionnel de substituer sa volonté à celle du peuple, seul arbitre en pareille situation. Voilà qui est bien curieux et qui dénote le parti-pris du Conseil Constitutionnel qui ne pouvait pas ignorer la loi en la matière ; le Conseil Constitutionnel achève ainsi de se discréditer et de se disqualifier. La décision du Conseil Constitutionnel est contraire au droit ; elle est tout aussi contraire à la volonté clairement exprimée du peuple de Côte d'Ivoire. Le problème a cessé d'être juridique ; il est devenu un problème essentiellement politique et moral.


II- LA VOLONTE DU PEUPLE SOUVERAIN DOIT ETRE RESPECTEE


La Côte d'Ivoire s'est proclamée République depuis 1958. La Constitution ivoirienne du 3 novembre 1960 et celle du 1er août 2000 ont repris et reconduit ce principe. Ce qui veut dire que le pouvoir politique appartient au peuple et que, par conséquent, le peuple est la source du pouvoir dans ce régime qui se veut démocratique. Or, le peuple a parlé à travers les urnes; il a désigné le nouveau président de la République en la personne de M. Alassane OUATTARA qui a remporté de façon claire et nette le scrutin du 28 novembre dernier. Par conséquent, M. Laurent GBAGBO doit, en toute conscience et responsabilité, céder le pouvoir à M. Alassane OUATTARA. L'attitude qu'observe M. GBAGBO constitue, en tous points, une usurpation, voire un coup d'État. Elle traduit un mépris souverain à l'égard de la République et du peuple dont la volonté est ainsi bafouée. M. Laurent GBAGBO doit se ressaisir pour que triomphe la volonté du peuple de Côte d'Ivoire pour que cesse cette situation tragique pour le pays et pour les populations, avec l'économie qui s'affaisse, des assassinats çà et là, des enlèvements et disparitions de personnes, des agressions dans des mosquées aux heures de prière. A quoi s'ajoutent des pénuries de toutes sortes, exposant les populations à la mort. C'est le lieu de rappeler aux Forces de défense et de sécurité l'obligation qui leur incombe de protéger les populations dans le respect de la légalité républicaine. La souveraineté de l'État (qui, souvent, ici ne sert que d'alibi) et la dignité du peuple commandent que nous sachions régler entre nous nos problèmes pour éviter les ingérences extérieures. Comment ne pas évoquer et condamner, dans ce contexte, la confiscation des médias d'État et leur utilisation à des fins de propagande, avec tous les risques de violence et de guerre civile? Comment ne pas condamner la mesure d'interdiction de paraître qui a frappé une partie de la presse privée? Que fait-on des droits et libertés, et notamment de la liberté de la presse, consacrés par notre Constitution? Il est temps que M. GBAGBO qui se proclame de gauche et se dit « enfant des élections », comprenne qu'il doit céder le pouvoir au plus tôt en cessant d'instrumentaliser la jeunesse qui a besoin de se former et de travailler. Quand le peuple a parlé, nous devons, tous et chacun, savoir nous taire, en nous faisant le devoir de sauver la paix et la patrie en danger. Que M. Gbagbo retrouve la raison et le sens de l'honneur et que cesse cette épreuve aussi tragique que ridicule. Nous nous sentons humiliés par le spectacle déplorable que nous offrons au monde. Tout cela doit prendre fin sans délai pour que nous puissions tous nous rassembler pour former un seul bloc autour de la Côte d'Ivoire qui, ainsi libérée et rendue à elle-même, pourra s'attaquer aux problèmes majeurs qui de reconstruction, de normalisation, de démocratisation, de moralisation et de développement, un développement solidaire et partagé. C'est notre intérêt commun, c'est notre devoir commun.


Fait à Abidjan, le 21 décembre 2010

Pour le Comité Central du PIT

Le Président du PIT

Francis WODIE

samedi 4 décembre 2010

Haro sur ces voleurs d'élections qui n'ont pas peur du scandale !


Ils sont la honte de l’Afrique. Ils sont ceux qui donnent raison aux afropessimistes qui continuent à voir dans les Africains des incapables juste bons à vivre aux crochets des nations dites riches. A cause d’eux, ceux qui prétendent que « la démocratie est un luxe pour les Africains » ont difficile à trouver contradicteurs. A cause d’eux, l’Afrique reste à la traîne quand le reste du monde, à l’image des pays émergents, prend le chemin du développement et réussit tant bien que mal à donner à l’homme, au citoyen, sa dignité intrinsèque. Ils bafouent les droits les plus fondamentaux de leurs concitoyens et sont prêts à mettre beaucoup de sang dans le vin de leur folie du pouvoir. Pour tout dire, ils sont « le VIH politique » d’une Afrique à qui ils refusent ce qui a toujours été à l’origine des progrès de toutes les civilisations depuis la nuit des temps : le rêve.

Un des premiers à inaugurer la série fut un certain Robert Mugabe. Naguère intrépide combattant contre le régime ségrégationniste de l’ex-Rhodésie du Sud sous les couleurs d’une ZANU-PF saluée par l’ensemble de l’Afrique libre, Mugabe a fini en dictateur sanguinaire, affameur de son peuple. Pire, il a volé à ce même peuple qu’il prétend toujours défendre contre « l’impérialisme occidental », le droit de se choisir ses dirigeants, autrement dit de s’inventer un autre avenir. Battu aux élections par l’opposant et ancien syndicaliste Morgan Tsvangirai dont il fut longtemps le bourreau, l’homme s’est imposé envers et contre tout - avec des milliers de morts au passage - s’accrochant au pouvoir dans un pays exsangue. Depuis, les Zimbabwéens n’ont pas fini de payer la folie de leur ancien « libérateur ».

Puis, le modèle a été repris par un certain Mwai Kibaki, dictateur-président du pays où vit la famille paternelle de l’actuel occupant de la Maison Blanche, j’ai cité le Kenya. Battu à l’élection présidentielle du 27 décembre 2007 par l’opposant Raila Odinga, Kibaki s’impose, s’accroche au pouvoir et tant pis si cela coûte la vie à des milliers de Kenyans dont le seul tort aura été d’exprimer leur choix par les urnes. Vaincre à tout prix.

Dans les deux cas précités et dans d’autres, au nom de la recherche d’une paix contre laquelle personne ne peut se prononcer, les vaincus ont revêtu les habits de vainqueurs, tandis que les vrais vainqueurs ont été contraints à l’humiliation. Les « négociations politiques », euphémisme pour désigner pudiquement les farces postélectorales dont l’Afrique est en voie de devenir championne du monde, ont accouché des situations que l’on pourrait qualifier d’ubuesques si elles n’étaient pas dramatiques pour les peuples. Au nom de l’unité nationale, le président vaincu est resté en poste, l’opposant élu se contentant du strapontin de Premier ministre. Ainsi va la démocratie africaine où tout le monde en appelle à la volonté du peuple, mais où très peu de Chefs d’État respectent les résultats des urnes, lorsqu’ils n’ont pas choisi de tripatouiller les dispositions constitutionnelles pour devenir des présidents à vie.

Arrive Laurent Gbagbo, celui que l’on surnomme en Côte d’Ivoire « le Boulanger d’Abidjan », en raison de sa capacité maintes fois prouvée de rouler dans la farine alliés et adversaires politiques. Après une élection plus que confuse en 2000 face à l’ancien putshiste Robert Guei, l’homme a déçu tous ceux qui avaient vu en ce vieil opposant socialiste celui qui ramènerait les Ivoiriens sur le chemin de la concorde, de l’unité et du redressement économique. Reniant toutes ses promesses, il surfera comme ses deux prédécesseurs sur la vague xénophobe et populiste, ostracisant politiquement son rival l’ancien Premier ministre Alassane Drame Ouattara qu’il empêchera constitutionnellement de se présenter à la présidentielle suivante. Tant et si bien qu’une rébellion prendra racine dans le nord du pays, lui permettant par un malheureux paradoxe d’usurper un mandat entier, entre 2005 et 2010. Contraint à la négociation, Gbagbo n’aura d’autre choix que de faire sauter le verrou constitutionnel qui rendait inéligible l’ancien Premier ministre et ancien Directeur général adjoint du FMI, première étape vers ce qui allait s’avérer être son propre tombeau politique le soir du 18 novembre 2010. En effet, à l’issue du deuxième tour d’une présidentielle jugée démocratique par l’ensemble des observateurs, le Président sortant est battu à plate couture par son rival. Mais Gbabgo est un autre Mugabe qui aura réussi l’impensable : voler une victoire aussi nette qu’incontestable (54,1% contre 45,9%) de Ouattara, faire obstruction à la publication officielle des résultats provisoires par l’organe indépendant habilité à le faire, puis instrumentaliser une Cour constitutionnelle composée de ses « créatures » pour s’autodésigner vainqueur avec 51,4% de suffrages. Ni l’ONU, garante du processus électoral, ni ses pairs Africains de la CEDEAO, ni l’Union Européenne ni même le Premier ministre sortant qui fut son premier collaborateur ne reconnaissent sa pseudo-victoire, mais il n’en a cure. Ce samedi 4 décembre, une cérémonie digne d’un roman d’Ahmadou Kourouma vient de l’investir Président pour 5 années supplémentaires. Les forces armées et de sécurité (voir la vidéo ci-dessous) viennent de lui faire allégeance, acte superfétatoire s’il en est, car ces godillots en uniforme ne sont rien de moins qu’une petite bande de lâches qui des années durant l’ont aidé à assassiner et à neutraliser toute velléité de résistance à son pouvoir partisan.

Ce samedi, tous ceux qui aiment l’Afrique et croient encore en elle, ont mal. C’est l’imposture de trop. La farce de Laurent Gbagbo, si elle ne trouve pas en face d’elle une réponse énergique et sans équivoque des Ivoiriens d’abord et de la communauté internationale ensuite, fera passer à tous les dictateurs africains un message tout simple : « Volez les élections, trichez sans état d’âme, il en restera toujours quelque chose ! ».


Ci-dessous, le message de la hiérarchie militaire ivoirienne :

mardi 24 août 2010

"BANANARISATION RAMPANTE" OU QUAND LE NORD PERD LE NORD


On aurait pu croire qu’en bon début du XXIème siècle, ce sport-là était abandonné aux circonvolutions des républiques bananières d’Afrique et d’ailleurs. Qu’une horde de noirs issus des townships sud-africains créent l’émoi de l’opinion internationale en lynchant de paisibles petits commerçants et ouvriers zimbabwéens venus chercher bonheur au pays du vrai-faux miracle postapartheid, ça passait encore. Les Africains, ces grands enfants qui « refusent d’entrer dans l’Histoire » (dixit un président européen qui préfère souvent l’ouvrir avant de réfléchir), ne seraient même pas foutus d’offrir gîte et bout de pain à leurs « frères ». Cela devrait-il étonner ?

Mais qu’arrive-t-il donc aux maîtres de ce bas-monde, tous grands donneurs de leçons des droits de l’Homme devant l’Eternel ? Que leur arrive-t-il de se comporter, vis-à-vis des étrangers sur leur sol, comme de vrais salauds ? Auraient-ils perdu le nord, ces bonnes âmes du Nord si promptes à monter en épingles les dérives totalitaires des potentats du Sud ? Du Texas à l’Ile-de-France, de Santa Fe à Naples, telle une faille tectonique, l’hydre xénophobe quitte le maquis du politiquement incorrect pour se draper des apparats du pouvoir étatique. On parle de « droites décomplexées ». Tellement décomplexées qu’elles oublient, comme en France, que naguère la bannière de la patrie fut estampillée « terre des droits de l’Homme ». Autres temps, autres mœurs. Vite oubliée, l'affaire Dreyfus. Désormais enfouie, la rafle du Vel' d'Hiv et j'en oublie...


A coup de lois dignes des périodes les plus sombres de l’Occident contemporain, à coup de déclarations politiques qui font froid dans le dos plus qu’elles ne rassurent des peuples qui croient de moins en moins en leurs dirigeants, voilà les hommes et femmes politiques des démocraties du Nord qui s’en vont en guerre contre les métèques. Ces derniers ont pour noms « Mexicains » au pays de Sarah Palin, « Musulmans », « Noirs » ou « Roms » aux pays de Sarkozy ou de Berlusconi. Aux uns on promet le retour forcé au pays d’origine après contrôle de faciès, aux autres on annonce la déchéance prochaine d’une nationalité qu’on aurait jamais dû leur concéder, tant leur identité cancéreuse est en soi une injure à l’Inviolable République. On agite des peurs, on manipule les esprits faibles et Dieu sait s’il y en a dans ces Etats qui se targuent, à juste titre d’ailleurs, d’avoir gagné la bataille de l’alphabétisation. Dans ces républiques, en effet, l’école est gratuite depuis des lustres. Pour faire simple, disons que tous les citoyens y sont instruits. L’obscurantisme sous-jacent à l’illettrisme, on ne connaît pas. Il en sort quoi cependant ? Des pauvres gens à qui on fait croire que tous les maux contre lesquels ils se battent et que n’arrivent pas à résoudre leurs élus ont une seule et unique origine : l’étranger. Le pire ? Ceux qui achètent cette pourriture qu'on veut faire passer pour de la politique se comptent par millions. Triste ? Non, inquiétant. L'Histoire pourrait bégayer, elle sait très bien le faire.

L’heureuse exception canadienne

Heureusement, des îlots de tolérance, voire de multiculturalisme serein existent ici et là. Vivant au Canada depuis un peu plus de trois ans aujourd’hui, je ne peux que faire une fière chandelle aux hommes et femmes de ce pays. Un pays qui peut se targuer de ne pas afficher dans son paysage politique ce que l’on nomme ailleurs « l’extrême-droite ». Je n’ai pas vu ici de Jean-Marie Lepen ni de Geert Wilder ; je n’ai entendu vociférer ni Umberto Bossi ni Filip Dewinter. Je n’ai pas croisé sur les routes du Québec ou de l’Ontario une armée d’agités du bocal accusant libéraux et conservateurs d’avoir dilué « l’identité canadienne » dans le flot d’immigrants qui arrivent chaque année par millions. Non, la proximité avec le géant étasunien n’a pas eu pour conséquence de créer un effet domino cauchemardesque outre-Niagara. A preuve, le mouvement de « Tea party » cher à Glenn Beck et Fox News n’a pas fait d’émules dans le pays qui a élevé une femme noire née à Jacmel (Haïti) et mariée à un sujet Français, à la plus haute et prestigieuse fonction régalienne qui soit – J’ai cité la Gouverneure générale Michaëlle Jean. Il m’a semblé opportun de saluer ce fait, au moment où il ne fait pas bon d’avoir des origines étrangères dans bien de démocraties occidentales. Je ne suis pas assez dupe pour croire que l’exception canadienne soit un acquis éternel ni qu’elle puisse perdurer sans la vigilance citoyenne, sans la contribution active de tous ceux qui participent au vouloir vivre ensemble qui règne dans ce pays-continent. Mais je ne peux m’empêcher de souhaiter que cette démocratie de mon nouveau pays d’adoption, aussi imparfaite qu’elle soit, donne des idées à ceux qui semblent en chercher du mauvais côté. Puisse-t-elle inspirer les leaders de ces démocraties en proie à ce que j’appelle une « bananarisation rempante », lesquels pernnent le parti de masquer l’inefficacité de leur action politique par un écran de fumée nommé « les étrangers ».

vendredi 9 juillet 2010

« LE PLUS GRAND FICHIER AU MONDE » EST EN CONSTRUCTION DANS L’ESPACE SCHENGEN… ET QUI S’EN EMEUT ?


On sait que depuis la création de l’Espace Schengen le 14 juin 1985, le détenteur d’un visa des services consulaires d’un des pays membres de l’accord peut voyager dans tous les autres pays sans devoir se plier à la même procédure à chaque fois. Ce que l’on sait moins ou ce dont monsieur et madame tout le monde sont moins conscients, c’est que mettre en branle un processus de demande de visa auprès des services consulaires de ces pays ne va pas sans entraîner pour l’impétrant un certain nombre de conséquences sur le plan de la protection de la vie privée et des renseignements personnels.

Selon l’AFP, les pays de l'espace Schengen (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Islande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Norvège, Pays-Bas Pologne, Portugal, République tchèque, Slovénie, Slovaquie, Suède et Suisse, dont ) mettent progressivement en place un fichier contenant des renseignements concernant 100 millions de demandeurs de visa éparpillés à travers la planète. « Cimade », l’ONG française d’aide aux migrants qui s’inquiète de l’ampleur d’un tel procédé « sans aucune garantie pour la confidentialité » quant aux données recueillies, tire ainsi sur la sonnette d’alarme et partant, en appelle à notre conscience de citoyen à l’ère où les développements technologiques ne cessent de poser de nouveaux défis à la protection de nos droits fondamentaux.
Dans le cadre de la mise en place de la biométrie, « le plus grand fichier au monde est en constitution par les pays de l'espace Schengen », a indiqué la Cimade qui se plaint qu’« au nom de la lutte contre la fraude et de la sécurité, les gouvernements européens fabriquent une société policière dans laquelle les faits et gestes de tout un chacun peuvent être contrôlés, consignés et communiqués ». Ledit fichier concerne tous les demandeurs de visa, ceux qui obtiennent le document comme ceux qui ne l'obtiennent pas.

La Cimade est arrivée à ces conclusions après une enquête sur « les pratiques consulaires en matière de délivrance de visa ». L'enquête aurait révélé que, par exemple, le relevé des empreintes digitales est effectué de plus en plus par des sociétés privées. De ce fait, il n'y aurait aucune garantie de sécurité, selon l’ONG, car ces « sociétés ne bénéficient pas de l'immunité diplomatique ». Je suis même tenté d’ajouter que cela est encore d’autant plus préoccupant que ces mêmes sociétés dont on peut légitimement douter de l’intégrité vis-à-vis des citoyens qui ignorent jusqu’au rôle leur « sous-traité » dans ces transactions, peuvent détourner contre avantages financiers les informations qu’elles manipulent. Ceux qui s’intéressent au pouvoir réel, potentiel ou supposé de Mark Zuckerberg, le jeune et fringant fondateur de Facebook, sauront de quoi je parle. On peut effectivement redouter que l’appât soit pécuniaire, mais on peut aussi imaginer des situations où des autorités locales pourraient faire pression pour solliciter et obtenir des informations sur les demandeurs de visa aux mêmes sociétés. Certaines pratiques de l’administration Bush - Cheney sont trop récentes pour qu’on les oublie. Parce que l’ « Etat voyou » n’est pas seulement celui que vous croyez, celui qu’on nous aura appris à haïr !

J’entends déjà d’aucuns me rétorquer de pécher par quelque angélisme de gauche, voire de vouloir banaliser les « menaces de notre temps ». Pourtant, par cette dernière expression mille et une fois galvaudée par les thuriféraires de la doxa sécuritaire, je n’ai nulle peine à comprendre que l’on désignent en réalité cette période bien étrange où la menace terroriste est devenue insidieusement le plus grand commun rassembleur de nos peurs collectives. Je voudrais leur répondre que mon sentiment est que nous sommes davantage dans une période où nous, citoyens, nous laissons trop facilement convaincre que « nous n’avons guère le choix ». Une période où nous acceptons trop facilement que nos armées ou celles des nations amies supposées soucieuses de notre sécurité collective dans le monde dit « libre », s’en aillent donner la mort à des individus qui n’ont pas le moindre début de différend avec nous, dans de coûteuses campagnes militaires aussi absurdes qu’ingagnables. Je voudrais leur répondre par les mots de Benjamin Franklin que je déforme à volonté, histoire de bien souligner l’ampleur souvent méconnue de nos lâches renoncements : « Celui qui est prêt à sacrifier beaucoup de liberté pour gagner une illusion de sécurité, ne mérite ni l’un ni l’autre ».

Non que je nie le besoin somme toute légitime de « prendre une longueur d’avance » sur les criminels et autres apprentis sorciers des airs qui rêvent de rééditer autant de 11 septembre 2001 qu’ils le pourraient; mais je refuse de cautionner l'idée qu’à un diagnostic pertinent on oppose des remèdes qui n’en sont presque pas, des remèdes qui créent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent.

vendredi 29 janvier 2010

COMMENT "BLACK JESUS" A CONQUIS L'ÉPOUSE DE BILL CLINTON


Lorsque leurs chemins se croisent, il n’est qu’un jeune sénateur presque inconnu. Elle, une star planétaire qu’on ne présente plus depuis longtemps. Ils se sont rencontrés, appréciés, puis durement affrontés. Avec des armes parfois discutables, diront certains. Il est aujourd’hui Président des États-Unis. Elle dirige sa diplomatie. Dans le livre qu’ils viennent de sortir intitulé “Game Change” (Harper Collins, New York, 2010. 448pp) et consacré aux dessous de la dernière champagne électorale qui a été couronnée par l’élection du premier Président Noir des États-Unis, les journalistes John Heilemann du magazine New York et Mark Halperin du Time livrent, entre autres, quelques secrets de la relation quasi maternelle, puis conflictuelle, et, pour finir, professionnelle entre Obama et sa rivale devenue sa secrétaire d’État, Hillary Rodham Clinton.


En fait, il faut savoir qu’au-delà de ces quelques « morceaux choisis » qui concernent le tandem Obama – H.R. Clinton, le livre des deux journalistes est un récit « à l’américaine », basé sur des dizaines d’interviews avec les principaux protagonistes, du type de celui qu’avait mené Bob Woodward avec ses “Bush at War”. On peut y lire des revelations inédites (quelquefois à la limite d’un voyeurisme peu glorieux hélas), sur l’improbable tandem formé par John McCain et sa colistière Sarah Palin, ce qu’on a appelé "la chute de la Maison Clinton" et les rapports tumultueux entre Hillary et Bill (lequel ne sort guère grandi de cette enquête, tant il semble avoir multiplié les erreurs politiques et les coups de sang incontrôlés), les destins contrariés de John Edwards et de Rudy Giuliani, et, surtout, l’ascension météorique de Barack Obama, surnommé « Black Jesus » par son propre staff durant les primaires. Morceaux choisis, donc (les titres ont été ajoutés par mes soins) :


LA RENCONTRE


« Au Sénat, Obama arpente le hall du quatrième étage du bâtiment Russell. Il cherche le bureau SR476. Nous sommes le 1er février 2005. Un peu moins d’un mois auparavant, il a été le troisième Africain-Américain de l’Histoire à prêter serment en tant que sénateur. Et il peine toujours à trouver son chemin au Capitole. Son bureau se situe à quelques rues de là, dans le bâtiment Hart, plus grand, plus moderne, mais moins prestigieux. « Russell », c’est le bassin dans lequel nagent les très gros poissons : Ted Kennedy, John Kerry, John McCain, Hillary Clinton… Et c’est justement avec cette dernière qu’Obama a rendez-vous. Car il a besoin d’aide. Les six mois qui viennent de s’écouler ont été un vrai chaos.


Dans le bureau aux murs jaune canari de Mrs Clinton (on distingue, accrochées aux murs, une photo de Bobby Kennedy, une autre de Bill dans le Bureau ovale, un photomontage de Hillary et d’Eleanor Roosevelt, son idole…) ; la discussion va, ce jour-là, durer presque une heure. L’élue de New York est convaincue que, pour réussir au Sénat, il est indispensable de ravaler son orgueil (ou, à tout le moins, de faire semblant). Les conseils qu’elle donne à Obama ont le mérite de la clarté : « Baissez la tête et évitez les feux de la rampe. Participez aux bonnes commissions, assistez aux auditions, bref, faites votre travail. Constituez des dossiers solides et n’oubliez jamais les besoins de ceux qui vous ont envoyé ici. »


Clinton apprécie qu’Obama recherche ainsi sa protection. Le jugeant prometteur, elle accepte de le prendre sous son aile. Au cours de cette première année au Sénat, elle prendra souvent le temps de discuter avec lui, pour tenter de lui indiquer la bonne direction. Un jour, Obama lui fera un cadeau : une photo de lui, avec sa femme et ses deux filles. Elle l’exposera dans son bureau jusqu’à son départ du Sénat, en 2009.
Pourtant, le jeune sénateur ne suit guère les conseils de sa protectrice. Loin de se méfier des médias, il les recherche, donne d’innombrables interviews et se laisse complaisamment poursuivre par les photographes et les équipes de télévision.
Un jour, Huma Abedin, l’assistante personnelle de Hillary, le croise dans le hall du Sénat. Très décontracté, il la salue :
« Hey ! comment ça va ?
– J’ai vu votre photo en couverture d’un magazine, elle était bien, le taquine Abedin.
– Oh ! laquelle ? » répond Obama, sans percevoir l’ironie. Son objectif était atteint. […]

APRES LES RAVAGES D’UNE GUERRE SANS MERCI


[À la fin du printemps 2008, le doute n’est plus permis : Barack Obama va remporter la bataille des primaires et décrocher l’investiture de son parti pour l’élection présidentielle de novembre. Hillary Clinton, sa rivale malheureuse, est en plein désarroi : que faire ?]


Elle écoute les conseils de ses innombrables alliés, mais juge la majorité d’entre eux inutiles. Elle oscille entre raison et déni de la réalité. Peut-être doit-elle attendre une semaine avant de réagir ? Ou peut-être deux ? En tout cas, mieux vaut garder plusieurs fers au feu, on ne sait jamais… Son staff ne tarde pas à réagir. Mandy Grunwald estime que Hillary ne doit surtout pas laisser perdurer l’image de mauvaise perdante qu’elle a pu donner au cours des dernières heures. Qu’elle doit, rapidement et de bonne grâce, se tenir derrière Obama, d’une manière qui serve à la fois ses intérêts et son image. « Tu devrais t’approprier ce moment », lâche Grunwald.
La rusée Tina Flournoy risque une comparaison avec la guerre de Sécession : « Beaucoup de combattants qui n’étaient pas prêts à voir la guerre s’arrêter se réfugièrent dans les collines. Vous pouvez prendre le maquis pendant un moment, mais il faut bien revenir un jour. Impossible de rester éternellement caché. »


Clinton procède à un tour de table : Obama a-t-il des chances de l’emporter en novembre ? « Oui, dit Flournoy. Avec votre aide, il peut gagner. » Tout le monde, ou presque, approuve. La candidate se laisse convaincre de sortir de son mutisme, de reconnaître sa défaite et d’apporter son soutien à Obama.
Le jeudi suivant, les ex-adversaires se retrouvent secrètement au domicile de la sénatrice Dianne Feinstein, près de Washington. Les sujets de conversation ne manquent pas : du rôle de Hillary lors de la Convention démocrate à l’effacement de sa dette de campagne, en passant par leur hypothétique campagne commune, à l’automne. Pourtant, à ce moment-là, une seule chose compte vraiment : sera-t-elle candidate à la vice-présidence ? […]
À la vérité, elle hésite. Si Obama lui offre la seconde place sur le ticket démocrate, Hillary sent que son intérêt est d’accepter, surtout pour ne pas être accusée de s’être défilée si Obama vient à perdre, en novembre. Son mari y est favorable, mais Hillary renâcle. Obama, non plus, ne sait trop sur quel pied danser. En raison des avanies qu’elle a endurées sans broncher pendant la campagne, il respecte et admire Hillary. Mais acceptera-t-elle d’être sa subordonnée ? Et puis, il y a le problème représenté par Bill. « Impossible d’avoir trois présidents en même temps à la Maison Blanche », confie-t-il à des amis, lors d’un dîner à New York. […] « Bon, d’accord, vous ne serez pas candidate à la vice-présidence », finit-il par concéder.


Hillary sort de chez Feinstein et, aussitôt, se concentre sur sa première sortie officielle, quarante-huit heures plus tard, à Washington. Au même moment, ses collaborateurs mettent laborieusement au point le discours qu’elle doit prononcer à cette occasion. Tard dans la soirée de vendredi, le texte est prêt – du moins le croit-on. En réalité, Hillary et Bill vont le retravailler encore et encore. Tôt le lendemain matin, la nouvelle version atterrit dans les boîtes mail de ses principaux conseillers.
« Ouah ! ils en ont vraiment fait de la merde, écrit Geoff Garin à ses collègues. Ils ont transformé un soutien élégant au sénateur Obama en quelque chose qui va être perçu comme une mesquinerie. Le problème n’est pas tant ce qu’ils ont enlevé que ce qu’ils ont ajouté. Combien de fois utilisent-ils le mot « je », là-dedans ? »
Une furieuse bataille s’ensuit. Les Clinton ont retiré le mot « soutien » ? Il est rétabli. Ils ont gommé la plupart des références à Obama ? Elles le sont aussi. Hillary ne proteste pas et soutient que son but a toujours été de prononcer un discours généreux et irréprochable. […]


Trois jours plus tard, depuis le Missouri, Obama appelle Bill Clinton. Ils se parlent pendant vingt minutes et conviennent d’un rendez-vous, peut-être à l’occasion d’un dîner à New York, avant la Convention démocrate du mois de juillet. Obama sait que Bill n’a toujours pas digéré d’avoir été accusé de jouer sur la question raciale pendant la campagne. Il ne pense pas que le mari de Hillary soit raciste, mais il n’a nulle intention de le disculper à trop bon compte. « Laissons-le se sortir de là tout seul ; ensuite, nous verrons », pense-t-il.


Quelques semaines plus tard, Michelle Obama appelle Hillary après un voyage en Floride au cours duquel certains partisans de Clinton ont levé des fonds pour Barack. « Je me sens mal de ne pas vous avoir appelée plus tôt, explique la future First Lady. Mais j’attendais le bon moment. » Son interlocutrice la met en garde contre les attaques dont elle commence à faire l’objet et qui vont sans nul doute redoubler, jusqu’en novembre. « Ne vous laissez pas atteindre par ça, lui conseille-t-elle. C’est la méthode des républicains, il faut vous y préparer. »
Mais en cet été 2008, Hillary est loin d’être aussi stoïque qu’elle voudrait le laisser paraître. Le passé la hante, le futur l’intimide et le présent est lourd de menaces. Bref, elle n’est pas heureuse. […]

LE SIGNE DES GRANDS HOMMES : CHEVALERESQUE ET MAT !

En cette matinée du 5 novembre 2009, Barack Obama prend son petit déjeuner en famille, regarde ses enfants partir pour l’école, met ses lunettes de soleil, puis gagne la salle de sport. La veille au soir, il a remporté une victoire aussi éclatante qu’historique en devenant le premier président africain-américain. […]


Obama se fraie un chemin jusqu’à ses bureaux provisoires, au 38e étage du ­Kluczynski Federal Building, dans le quartier d’affaires de Chicago. Assis aux côtés de Joe Biden, de Rahm Emanuel, son futur chef du cabinet, de Valerie Jarrett, Pete Rouse et John Podesta, les responsables de son équipe de transition, et de quelques autres, il passe en revue les candidats à un poste dans son administration. Les noms figurant sur la liste ne sont pas vraiment une surprise. À l’exception d’un seul : Obama pense en effet sérieusement à Hillary Clinton pour le poste de secrétaire d’État. […]


Jusqu’au jour de l’élection, bien peu étaient dans la confidence. Mais Obama n’a jamais manqué une occasion de faire l’éloge de Mrs Clinton. Intelligente, compétente, dure et disciplinée, elle n’aura, estime-t-il, nul besoin qu’on lui explique les choses ni qu’on lui tienne la main. Elle n’aura pas à gagner ses galons sur la scène internationale puisqu’elle a déjà une stature planétaire. « Elle est attentive aux nuances, explique Obama à Jarrett, et c’est ce que j’attends d’un secrétaire d’État, tant les enjeux sont importants. Je ne peux pas avoir quelqu’un qui risquerait de nous mettre en difficulté à cause d’une phrase malheureuse. » […]


Dans son équipe de campagne, beaucoup sont hostiles à cette idée. On doute ouvertement que Hillary puisse, et veuille, être un membre loyal de l’équipe. Chacun avance son argument. Elle va « servir ses propres objectifs et saper ceux d’Obama »… Elle sera « comme une migraine chronique »… Elle « passera son temps à voyager à travers le monde, à faire de l’argent et à mettre son mari en valeur ». […]
Obama écoute ces objections et en rejette la plupart. Oui, il va falloir discuter avec Mrs Clinton. Oui, il va falloir régler le « problème Bill ». Mais il ne partage pas l’animosité de ses collaborateurs. Il est temps de se mettre à gouverner. Pour cela, juge-t-il, Mrs Clinton est un atout précieux. […]


Le 13 novembre, Hillary rencontre Obama dans son bureau, à Chicago. Pourquoi ce dernier l’a-t-il invitée ? Elle se perd en conjectures, mais n’imagine pas une seconde qu’il puisse lui proposer le secrétariat d’État. Deux jours auparavant, lors d’un dîner à New York, Terry McAuliffe [son directeur de campagne, NDLR] a évoqué devant elle une rumeur insistante selon laquelle elle pourrait se voir proposer le poste. « C’est la chose la plus folle que j’aie jamais entendue », a-t-elle répliqué. […]
Maintenant elle est là, assise face à celui qui a causé sa perte. « Vous êtes celle à qui je pense le plus sérieusement pour le poste », lui dit-il. Il lui explique qu’il va leur falloir trouver un accord à propos de la fondation de Bill, du financement de la bibliothèque que celui-ci envisage de créer et de toutes ses très lucratives activités. Comment voit-il leur future relation ? Un président, une secrétaire d’État et chacun son job. […] Obama se doute bien que Clinton va se montrer réticente et qu’il va devoir la courtiser un peu. En même temps, il évalue la situation : « Est-ce qu’on accroche bien ? Va-t-elle finir par admettre que c’est moi le président ? Peut-elle travailler pour moi ? » À la fin de l’entretien, il avait des réponses satisfaisantes à toutes ces questions. […]
Dans l’avion qui la ramène de Chicago, Hillary est loin d’être dans le même état d’esprit. « Je n’accepterai pas ce poste, songe-t-elle. Et je ne laisserai personne me convaincre de le faire ; personne. » En même temps, elle se remémore une formule que James Carville [animateur de télévision, politologue et ami du couple Clinton, NDLR] affectionne : « Une fois qu’on t’a sollicité, t’es baisé. »


Au cours des jours suivants, Hillary n’en démord pas : son intérêt n’est pas de travailler pour Obama. Elle préfère retourner au Sénat, panser ses plaies et consacrer son énergie au remboursement de la dette de plusieurs millions de dollars contractée pour mener sa campagne. Elle aspire à renouer avec sa vie d’avant, aller au théâtre, dîner en ville, passer du temps avec Chelsea [sa fille, NDLR]… À 61 ans, il lui faut admettre qu’elle ne sera peut-être jamais présidente. Surtout, elle est fatiguée. Oh ! tellement fatiguée ! […]
Dans la matinée du 19 novembre, les principaux responsables de son équipe tiennent une téléconférence afin de coordonner l’annonce du refus. Pour contrer les attaques selon lesquelles ce sont les activités de Bill qui ont fait échouer l’accord, ils décident de transmettre à la Maison Blanche la liste complète des soutiens financiers dont bénéficie ce dernier.
Après avoir informé Rahm Emanuel et John Podesta de sa décision, Hillary demande à parler à Obama. Pour mettre les choses au point. […]
« Cela ne va pas marcher, dit-elle, angoissée, à Obama. La campagne a été longue, difficile ; je suis éreintée. Et puis, il y a cette dette que je ne pourrai pas rembourser si je suis secrétaire d’État. Je suis lasse de toutes ces attaques, je me sens comme un punching-ball. J’ai eu ma dose, maintenant, je veux juste rentrer chez moi. Je ne peux vraiment pas accepter. »
« Écoutez, Hillary, lui répond Obama, vos objections sont légitimes. Mais voyez-vous, l’économie est un foutoir pire que nous ne l’avions imaginé. Au cours des deux prochaines années, je vais devoir me concentrer là-dessus. C’est pour ça que j’ai besoin de quelqu’un de votre carrure pour ce poste. J’ai besoin de quelqu’un en qui je puisse avoir toute confiance ; et vous êtes cette personne. » Hillary soulève alors une difficulté plus personnelle. « Vous connaissez mon mari, dit-elle. Vous avez vu ce qui s’est passé. Nous allons devoir passer notre temps à nous expliquer sur telle ou telle de ses déclarations. Vous savez que je ne peux pas le contrôler. Un jour ou l’autre, il posera problème. »
« Je le sais, réplique Obama, mais je suis prêt à prendre ce risque. Votre pays a besoin de vous. J’ai besoin de vous. J’ai besoin que vous le fassiez. » […]
Il est presque 1 heure du matin. Obama se lève calmement et dit : « Je ne peux accepter un refus définitif. Continuez à réfléchir, la nuit porte conseil. » […]
Le matin suivant, Obama fait irruption dans le bureau de Valerie Jarrett, à Chicago. « La nuit dernière, elle m’a dit non, lui explique-t-il, mais elle m’a rappelé tout à l’heure. Finalement, elle accepte. »
Jarrett dévisage Obama. Au cours de la campagne, ils ont eu d’innombrables conversations, mais elle ne se souvient pas de l’avoir jamais vu plus fier ni plus satisfait. Nous sommes le 20 novembre. L’élection a eu lieu seize jours auparavant, mais Obama a déjà réussi à changer les règles du jeu. Au seuil du pouvoir et sur le point d’endosser une responsabilité écrasante, Hillary Clinton et lui sont dans la même équipe. »