POURQUOI JE M'EN MÊLE ...

"NOUS SOMMES TOUS SOURDS QUAND CELA ARRANGE NOTRE BONHEUR. CELA REPOSE UN PEU DE NE PAS TOUT ENTENDRE" - Tahar Ben Jelloun

vendredi 21 octobre 2011

Kadhafi assassiné, le CNT manque son rendez-vous test avec l’Histoire


Mouammar Kadhafi est mort. Comme un rat. Le fugitif aurait d’ailleurs été tiré d’un égout lui ayant servi de refuge près de Syrte, sa ville natale, jeudi 20 novembre. Il avait promis des « rivières de sang » à ceux qui le sommaient de « dégager », c’est dans une mare de sang, son propre sang, que le colonel bédouin qui s’était autoproclamé « Roi des rois Africains » a rendu son dernier souffle. “Il a rencontré son destin”, a dit un de ses anciens collaborateurs, aujourd’hui ambassadeur de la Libye à l’ONU. J’aurais pu me réjouir de la mort du tyran qui avait autant de sang sur les mains qu’il y a de l’or noir dans le désert de ce pays sous-peuplé qu’il avait transformé en prison à ciel ouvert. Mais il n'en est et n'en sera rien. La mort d’un être humain reste à mes yeux un événement malheureux en soi, mais ce n’est pas la seule raison du malaise qui m'a envahi en découvrant pour la première fois les images du défunt sur Aljazeera.

La résolution 1973 derrière laquelle s’est abrité l’OTAN pour mener les opérations militaires en soutien aux forces insurgées du CNT, reposait sur un principe de droit international qui, appliqué à bon escient, reste un impératif face à la tyrannie des Princes aliénés par l’usure du pouvoir : la responsabilité de protéger. Celle-ci se voulait le passage obligé pour que la Libye, une fois libérée de l’Ogre des Sables qui lui servait de Guide, retrouve le chemin de la justice, celui de l’État de droit. Les insurgés, sous le label du CNT, faisaient au reste du monde, je veux dire aux Occidentaux, la promesse des lendemains meilleurs. Ils promettaient un futur où le règne de l’arbitraire et les exécutions sommaires si chères à Kadhafi laisseraient la place à un État où les criminels présumés seraient traduits devant une justice indépendante, jugés, puis condamnés ou acquittés selon le cas. C’est en vertu de cet espoir en toile de fond du fameux « printemps arabe » que j’ai salué l’action de l’OTAN et souhaité, comme d’autres, la chute du dictateur. C’est en vertu de cet espoir que je me suis senti libyen le jour où Kadhafi s’est sauvé de son « imprenable » résidence de Bab al-Aziziya à Tripoli, tombée aux mains des insurgés venus de la Cyrénaïque. Force est de reconnaître qu’au lendemain de la mort du colonel mégalo, je ne suis pas plus rassuré et pour cause !

Pas de justice pour les ennemis de la justice ?

Avec les images du lynchage de Kadhafi après que ses ennemis l’aient capturé, je note que « la révolution libyenne » a manqué son rendez-vous test avec l’histoire de la Libye nouvelle qu’elle voudrait bâtir. Alors qu’ils avaient là l’occasion de prouver au peuple libyen, à l’Afrique et au reste du monde, que la nouvelle Libye réhabiliterait la justice et respecterait les droits de l’Homme, les nouveaux maîtres de Tripoli ont choisi la voie facile de la vengeance. Ils ont opté pour la voie périlleuse des exécutions extrajudiciaires que chérissait tant l’ancien despote qu’ils ont combattu pour ce motif précisément et pour d’autres motifs relevant tout autant de la barbarie. Qu’on ne vienne pas nous dire qu’une fois qu’ils avaient maîtrisé le fugitif, ils n’avaient aucun moyen de préserver sa vie. Les vidéos postées à tout va sur Internet se passent de commentaires. On y découvre ainsi que comme hier l’administration Obama, les hommes du CNT semblent convaincus que les cours et tribunaux sont faits pour des hommes sympathiques et que les méchants, tels Oussama Ben Laden ou Mouammar Kadhafi, ne méritent qu’humiliations et exécutions sommaires, loin des palais de justice. Après le bien connu « pas de liberté pour les ennemis de la liberté » de Saint-Just, place désormais au « pas de justice pour les ennemis de la justice ». Tout cela ne fait pas présager d’un avenir des plus rassurants dans la Lybie post-Kadhafi et je ne demande qu’à être contredit par l’histoire.

Par ailleurs, le peu de cas que font de cette mise à mort du dictateur libyen les dirigeants occidentaux que l’on sait grands donneurs de leçons de démocratie et des droits de l’Homme, est le signe que l’hypocrisie dans les relations internationales a encore de beaux jours devant elle. Pour qu’il n’y ait point ici de malentendu, je voudrais préciser que si je ne regrette pas la fin d’un despote sans foi ni loi, cela ne me dispense pas de poser un regard critique sur la manière dont cette fin a été obtenue. On peut en effet se réjouir de la chute d’un des dirigeants les plus sinistres que l’Afrique ait connu et regretter cependant que celui-ci n’aie pas eu, à l’instar de Laurent Gbagbo dont le dossier pénal est en cours d’instruction auprès de la CPI et de la justice ivoirienne, la possibilité d’être traduit devant ses juges pour répondre de ses actes. Quiconque emprunte à la tyrannie ses méthodes tout en prétendant offrir la liberté est un imposteur. Le combat pour le droit et la justice ne devrait avoir ni couleur ni odeur. Laisser agir contre cet idéal est le moyen le plus sûr de fragiliser nos propres droits et libertés.