POURQUOI JE M'EN MÊLE ...

"NOUS SOMMES TOUS SOURDS QUAND CELA ARRANGE NOTRE BONHEUR. CELA REPOSE UN PEU DE NE PAS TOUT ENTENDRE" - Tahar Ben Jelloun

jeudi 18 juin 2009

L'AMÉRIQUE BLANCHE FAIT SON MEA CULPA POUR ESCLAVAGE ET SÉGRÉGATIONNISME


En 2001, la France mettait un terme à plus d’un siècle de tergiversations en adoptant la loi désormais connue sous le nom de la Députée de la Guyane qui en fut la promotrice, « la loi Taubira ». Avec elle, le rôle de la France dans l’esclavage des Noirs était dénoncé et l’esclavage érigé en crime contre l’humanité. La loi allait encore plus loin, préconisant l'insertion de ce fait historique dans les programmes scolaires et le développement des recherches scientifiques s'y rapportant. Si certaines dispositions du texte législatif suscita – et continue à susciter – des cris d’Orfraie auprès de ceux qui à l’instar du « Collectif Liberté pour l’Histoire » s’indignent de ces « lois mémorielles » qu’ils accusent de politiser l’écriture de l’Histoire, il n’en reste pas moins que sept siècles après l'ordonnance de Louis X le Hutin, datée de 1315, proclamant que « le sol de France affranchit quiconque y pose le pied », la France regardait son histoire en face et battait sa coulpe.


Outre-atlantique, l’Amérique, la même qui vit ses armées en découdre sur fond de velléités sécessionnistes du Sud décidé à maintenir l’esclavage alors que le Nord ne jurait que par l’abolition, n’en finit pas d’ergoter sur « la question raciale ». Elle qui vient d’élire un Noir à la plus haute charge publique du pays, sait néanmoins qu’elle est loin d’avoir écrit la page de cette Amérique post-raciale dont rêvent les progressistes de cette démocratie qui ne manque pas de fantômes dans ses placards. C’est fort de cette réalité que je pense que le vote qui vient d’avoir lieu ce jeudi 18 juin 2009 au Sénat fédéral a une valeur historique plus forte encore que l’avènement de la loi Taubira en France.

De fait, le Sénat américain a voté aujourd’hui pour présenter formellement ses excuses, au nom du peuple américain, pour « l’esclavage et la ségrégation raciale » envers les Noirs américains. Il ne s’agit pas d’une loi stricto sensu, mais bien d’une résolution symbolique qui a été approuvée par acclamation, la majorité démocrate et l’opposition républicaine étant largement d’accord sur les termes du texte. Ladite résolution devra également être adoptée par la Chambre des représentants, mais ne requiert pas de signature du président des États-Unis, Barack Obama, dont on se souviendra le très beau discours durant les primaires démocrates, le 18 mars 2008, à Philadelphie, en pleine tourmente dans l’affaire du fameux Pasteur Jeremiah Wright.


Cet acte historique intervient à la veille de la célébration de la fin de l’esclavage aux États-Unis en 1865, après la guerre de Sécession remportée par les Unionistes du Nord. Le texte reconnaît « l’injustice fondamentale, la cruauté, la brutalité et l’inhumanité de l’esclavage » et des lois ségrégationnistes connues sous le nom de « lois Jim Crow » qui ont été abolies en 1964 par la loi sur les droits civiques, le « Civil Rights Act » qui interdit toute forme de discrimination dans les lieux publics. Il présente des « excuses aux Noirs américains au nom du peuple américain, pour le mal qui leur a été fait, ainsi qu’à leurs ancêtres qui ont souffert de l’esclavage et des lois Jim Crow ».

Il faut toutefois observer qu’il est stipulé que le texte de la résolution ne peut servir de « support à une plainte contre les États-Unis ». Une disposition qui a amené le groupe des élus Noirs de la Chambre des représentants, à exprimer ses « inquiétudes ». Comme il fallait s’y attendre et comme en France, l’État démocratique se trouve pris au piège du devoir de mémoire, du caractère imprescriptible des droits humains et de la responsabilité à la fois politique et juridique des auteurs des crimes y relatifs. Auteurs qui, dans le cas d’espèce, se retranchent derrière le visage de l’État qui a institutionnalisé des actes hautement répréhensibles. Entre le droit et la politique, sur une question aussi sensible et qui a tous les traits d’une boîte aux pandores, les démocraties occidentales semblent avoir choisi de l’emporter sur le déni des crimes passés dans une formule en demi teinte : « responsables, mais pas coupables ». Vous avez dit réparations ? Il faudra repasser, hélas.


Avant l’Amérique, l’Australie et plus récemment le Canada – pour ne citer que ces deux grands pays de l’espace Commonwealth – avaient adapté la même position, en lien avec les actes commis naguère contre leurs populations autochtones respectives. Ceux qui y voient de bien hypocrites « larmes de crocodiles » vous diront que des excuses qui ne s’accompagnent pas de réparations ne sont rien de moins qu’une manière de se dédouaner à bon compte. Si je considère personnellement que le débat sur les réparations mérite d’être mené pour ce genre de crimes et abus, ceci afin notamment de bien circonscrire les éléments de droit sur lesquels devraient s’asseoir une telle démarche, je suis d’avis que si réparation il devrait y avoir, elle ne devrait pas procéder des compensations d’ordre financier ou matériel, mais plutôt des mesures à caractère politique du style « discrimination positive » (l’affirmative action américaine). Verser de l’argent contre un crime contre l’humanité reconnu comme tel par « les anciens bourreaux » ne me semble pas conciliable avec l’idée que l’Humanité des êtres vivants ne s’aliène guère. Pas sûr que le Sénateur américain Tom Harkin à l’orgine de la recommandation de ce jeudi ait été mû par cette préoccupation, mais je ne peux qu’adhérer à ses propos lorsqu’il déclare : « Alors que nous sommes fiers de cette résolution qui est attendue depuis longtemps, un vrai travail reste à accomplir (…) pour créer de meilleures opportunités pour tous les Américains. C’est véritablement le seul moyen de répondre à l’héritage de l’esclavage et de Jim Crow ».


Une cérémonie est prévue début juillet au Capitole pour « marquer l’occasion », a assuré le sénateur Harkin. Le président Barack Obama pourrait assister à cet événement, aussurait-on des sources proches de la Maison Blanche.