POURQUOI JE M'EN MÊLE ...

"NOUS SOMMES TOUS SOURDS QUAND CELA ARRANGE NOTRE BONHEUR. CELA REPOSE UN PEU DE NE PAS TOUT ENTENDRE" - Tahar Ben Jelloun

vendredi 9 juillet 2010

« LE PLUS GRAND FICHIER AU MONDE » EST EN CONSTRUCTION DANS L’ESPACE SCHENGEN… ET QUI S’EN EMEUT ?


On sait que depuis la création de l’Espace Schengen le 14 juin 1985, le détenteur d’un visa des services consulaires d’un des pays membres de l’accord peut voyager dans tous les autres pays sans devoir se plier à la même procédure à chaque fois. Ce que l’on sait moins ou ce dont monsieur et madame tout le monde sont moins conscients, c’est que mettre en branle un processus de demande de visa auprès des services consulaires de ces pays ne va pas sans entraîner pour l’impétrant un certain nombre de conséquences sur le plan de la protection de la vie privée et des renseignements personnels.

Selon l’AFP, les pays de l'espace Schengen (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Islande, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Norvège, Pays-Bas Pologne, Portugal, République tchèque, Slovénie, Slovaquie, Suède et Suisse, dont ) mettent progressivement en place un fichier contenant des renseignements concernant 100 millions de demandeurs de visa éparpillés à travers la planète. « Cimade », l’ONG française d’aide aux migrants qui s’inquiète de l’ampleur d’un tel procédé « sans aucune garantie pour la confidentialité » quant aux données recueillies, tire ainsi sur la sonnette d’alarme et partant, en appelle à notre conscience de citoyen à l’ère où les développements technologiques ne cessent de poser de nouveaux défis à la protection de nos droits fondamentaux.
Dans le cadre de la mise en place de la biométrie, « le plus grand fichier au monde est en constitution par les pays de l'espace Schengen », a indiqué la Cimade qui se plaint qu’« au nom de la lutte contre la fraude et de la sécurité, les gouvernements européens fabriquent une société policière dans laquelle les faits et gestes de tout un chacun peuvent être contrôlés, consignés et communiqués ». Ledit fichier concerne tous les demandeurs de visa, ceux qui obtiennent le document comme ceux qui ne l'obtiennent pas.

La Cimade est arrivée à ces conclusions après une enquête sur « les pratiques consulaires en matière de délivrance de visa ». L'enquête aurait révélé que, par exemple, le relevé des empreintes digitales est effectué de plus en plus par des sociétés privées. De ce fait, il n'y aurait aucune garantie de sécurité, selon l’ONG, car ces « sociétés ne bénéficient pas de l'immunité diplomatique ». Je suis même tenté d’ajouter que cela est encore d’autant plus préoccupant que ces mêmes sociétés dont on peut légitimement douter de l’intégrité vis-à-vis des citoyens qui ignorent jusqu’au rôle leur « sous-traité » dans ces transactions, peuvent détourner contre avantages financiers les informations qu’elles manipulent. Ceux qui s’intéressent au pouvoir réel, potentiel ou supposé de Mark Zuckerberg, le jeune et fringant fondateur de Facebook, sauront de quoi je parle. On peut effectivement redouter que l’appât soit pécuniaire, mais on peut aussi imaginer des situations où des autorités locales pourraient faire pression pour solliciter et obtenir des informations sur les demandeurs de visa aux mêmes sociétés. Certaines pratiques de l’administration Bush - Cheney sont trop récentes pour qu’on les oublie. Parce que l’ « Etat voyou » n’est pas seulement celui que vous croyez, celui qu’on nous aura appris à haïr !

J’entends déjà d’aucuns me rétorquer de pécher par quelque angélisme de gauche, voire de vouloir banaliser les « menaces de notre temps ». Pourtant, par cette dernière expression mille et une fois galvaudée par les thuriféraires de la doxa sécuritaire, je n’ai nulle peine à comprendre que l’on désignent en réalité cette période bien étrange où la menace terroriste est devenue insidieusement le plus grand commun rassembleur de nos peurs collectives. Je voudrais leur répondre que mon sentiment est que nous sommes davantage dans une période où nous, citoyens, nous laissons trop facilement convaincre que « nous n’avons guère le choix ». Une période où nous acceptons trop facilement que nos armées ou celles des nations amies supposées soucieuses de notre sécurité collective dans le monde dit « libre », s’en aillent donner la mort à des individus qui n’ont pas le moindre début de différend avec nous, dans de coûteuses campagnes militaires aussi absurdes qu’ingagnables. Je voudrais leur répondre par les mots de Benjamin Franklin que je déforme à volonté, histoire de bien souligner l’ampleur souvent méconnue de nos lâches renoncements : « Celui qui est prêt à sacrifier beaucoup de liberté pour gagner une illusion de sécurité, ne mérite ni l’un ni l’autre ».

Non que je nie le besoin somme toute légitime de « prendre une longueur d’avance » sur les criminels et autres apprentis sorciers des airs qui rêvent de rééditer autant de 11 septembre 2001 qu’ils le pourraient; mais je refuse de cautionner l'idée qu’à un diagnostic pertinent on oppose des remèdes qui n’en sont presque pas, des remèdes qui créent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent.