POURQUOI JE M'EN MÊLE ...

"NOUS SOMMES TOUS SOURDS QUAND CELA ARRANGE NOTRE BONHEUR. CELA REPOSE UN PEU DE NE PAS TOUT ENTENDRE" - Tahar Ben Jelloun

mercredi 6 avril 2011

Laurent GBAGBO ou l'art de se fabriquer un destin de martyr anti-néocolonialiste

Ce troisième "post" consacré à la crise ivoirienne m'est dicté par deux impératifs : faire écho à ceux qui veulent "sauver le soldat Ggagbo" et accessoirement, exposer à l'intention de certains de mes amis - qui se reconnaîtront - les raisons qui me font dire que les premiers cités se trompent de combat, alors que l'idéal démocratique et les droits de l'Homme se meurent en Afrique. Un échec qui se nourrit de la stratégie du "bouc émissaire" que les Africains doivent impérativement abandonner pour devenir exigeants vis-à-vis de leurs dirigeants.


La grande fimusterie


L’homme n'a rien à envier à un Robert Mugabe et pourtant, il a réussi à faire croire à une partie de l’opinion, en particulier certains intellectuels Africains que l’on peut croiser dans les capitales du Nord (traduisez : loin de la chienlit instaurée dans leurs pays d’origine respectifs par des despotes qui ressemblent au "bunkérisé d'Abidjan"), qu’il est le nouveau Patrice Lumumba, un autre Thomas Sankara, le kaki et le béret en moins. Il s’est construit une image de tombeur de la « Françafrique » et autres avatars d’un néocolonialisme bien réel, alors que rien, dans son action à la tête de la Côte d’Ivoire, ne confère le moindre crédit à ce qu’il raconte à son monde.


Les entreprises françaises qui incarnent, comme on le sait, l’épine dorsale de la nébuleuse chère au Général de Gaulle (Bouygues, Bolloré, Total et SPIE en tête), déjà maîtresses du jeu économique en Éburnie sous Félix Houphouët Boigny, ont continué sous les Refondateurs à tenir la dragée haute aux nouveaux venus, Chinois compris. Laurent Gbagbo n’y a rien changé, leur concédant au contraire de nouveaux marchés publics juteux, notamment dans le domaine des hydrocarbures et des grands travaux publics. Cherchez l’erreur…

Durant la dernière présidentielle de tous les malheurs, Laurent Gbagbo a été le seul candidat à avoir payé une fortune à des instituts de sondages français, ainsi qu’à des officines de communication tout aussi françaises, pour que son slogan « On gagne ou on gagne ! » se transforme en réalité. Avec les résultats que l’on sait. Le seul candidat aussi à avoir battu campagne flanqué d’anciens dirigeants socialistes français, pour ne citer que son ami Jack Lang que j'ai vu esquisser quelques pas de "coupé décalé" lors d'un meeting LMP à Yopougon (lequel Jack Lang lui a, depuis, vivement conseillé de reconnaître sa défaite et d’en tirer les conséquences) ! Imaginez si, en face, Alassane Ouattara, peint par lui comme « l’Homme des Occidentaux », avait osé inviter dans sa tournée transivoirienne un de ses anciens amis des années FMI - Tiens, un Sénateur américain par exemple !


Et c’est encore Laurent Gbagbo qui, lorsque survient la crise postélectorale voulue et planifiée par lui, court chercher pour défendre sa cause burlesque, deux Avocats français. Et pas n'importe lesquels : rien de moins que l'inoxydable Jacques Vergès et Roland Dumas ! Mais c’est vrai que des Avocats rompus au droit international, il faudrait en trouver sur le continent.


Ses défenseurs (les Écrivains guinéen Thierno Monenembo et franco-camerounaise Calixthe Beyala, l’historienne et ancienne Première dame du Mali Adame Ba Konare, entre autres célébrités noires), essayent de convaincre tous ceux qu’ils peuvent, avec une bonne foi que je ne leur dénie pas, que Gbagbo est un panafricaniste doublé d’un anti-néocolonialiste. Ils nous le vendent volontiers comme un Lumumba bis, un Amilcar Cabral en civil, qui se battrait pour ce que l’intéressé appelle « la deuxième indépendance » africaine. J'aimerais tellement que cela soit vrai, tant l'Afrique a besoin d'un vrai leadership qui tourne le dos aux "petits arrangements entre amis" auxquels nous ont habitués les acteurs des relations Nord-Sud en un demi-siècle d'indépendance politique des États africains. Seulement, là encore, les faits parlent contre leur champion. Et que disent les faits, pour n’en prendre d'ailleurs que quelques uns ?


Depuis 2000, année de son arrivée au pouvoir (à la suite d’une élection où, déjà, son rival le plus sérieux fut arbitrairement mis hors-course par un tripatouillage constitutionnel qui arrangeait presque tout le monde à Abidjan), les ressortissants des pays africains frontaliers à la Côte d’Ivoire connaissent l’enfer dans la partie du pays contrôlée par les forces qui lui sont fidèles, parmi lesquelles la fameuse galaxie des « Jeunes patriotes ». La raison : Gbagbo et ses thuriféraires dont le sinistre Charles Blé Goudé, les ont constamment désignés, sans atermoiements, comme le cancer dont il faut extirper le pays pour renouer avec la paix et la prospérité. Qui n’a pas entendu parler des chasses à l’homme menées dans Abidjan, contre les sujets Burkinabé, Maliens ou autres Ghanéens, après la tentative de coup d’État de 2002 et même au moment où ces mots sont mis en ligne ? Combien, parmi eux, ont été sacrifiés sur l'autel de la haine et de la xénophobie distillées à longueur des journées sur les ondes de la radio-télévision gbagbiste ? C’est donc cela, le panafricanisme et la restauration de l’honneur de l’Afrique que nous assène l’ancien professeur d’Histoire ?


Enfermé dans une logique du « moi ou le chaos », Ggagbo a transformé la FESCI (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire) en une milice au-dessus de toutes les lois, et n'a pas hésité à armer celle-ci ni à lui donner un blanc-seing total pour semer la terreur sur les campus universitaires ivoiriens, pour le malheur de ceux qui n’adhèrent pas à sa cause, tout particulièrement s’ils ont le tort de porter un nom dioula. Vous avez dit « un modèle pour la jeunesse africaine » ?

On attendrait d’un anti-néocolonialiste qu’il garde l’argent et les biens gagnés en toute légalité dans son pays ou à défaut sur le continent, afin de contribuer à l’essor économique qui fait tant défaut à nos États nourris aux mamelles d’une aide internationale sujette à caution. Ni Gbagbo ni ses amis et collaborateurs qui partagent sa soi-disant idéologie anti-néocolonialiste ne se sont pourtant gênés de placer leur fortune aux origines pour le moins douteuses bien à l’abri du regard de l’Ivoirien lambda, dans ces mêmes pays qu’ils haïssent tant et dont ils disent combattre l’hégémonie. À moins que les sanctions européennes et onusiennes de gels des avoirs prises contre l’ancien Président, son épouse et ses affidés soient décrétées contre une fiction ?


Last but not least, on attendrait aussi d’un panafricaniste qu’il sache écouter les avis et conseils de ses pairs africains lorsque surgit un conflit interne dont il veut éloigner les « méchants » néocolonialistes français et américains. Et s’agissant de la crise en cours, que lui disent la CÉDÉAO et l’UA d’une seule voix ? Cette chose toute simple : « Nous avons écouté toutes les parties au conflit pendant quatre mois, tenté de cerner le fondement de l’invalidation par ton ami de la Cour constitutionnelle des centaines de milliers de voix des électeurs Ivoiriens en violation flagrante du Code électoral, nous avons tenté de te trouver des circonstances atténuantes, mais nous n’avons rencontré que cette évidence aussi têtue que dérangeante : tu as perdu les élections et ta tentative de te maintenir par la force et la ruse est lourde de conséquences pour ton peuple. Voici la sortie, cher ami. Il n'y a aucune honte à perdre une élection ». Parmi ces voix désespérées, celle d’un ami de l’ex-Président ivoirien, un certain Jacob Zuma qui aurait confessé en privé, en marge du dernier sommet à Addis-abeba, sa déception d'avoir été dupé par son ex-protégé.


Que dire de plus ? Que dire, lorsque ni la négociation ni l’usage légitime de la force pour arrêter un homme qui fait tirer à l’arme lourde sur les populations civiles qu'il est censé protéger, ne donnent aucun résultat ? Que dire, lorsqu’à ceux qui lui demandent de partir, ne serait-ce pour l’intérêt de son peuple qu’il dit tant aimer, ce « Machiavel des marais » trouve assez de lucidité dans sa folie pour déclarer, sur les ondes de la chaîne française LCI : "Je demande le recomptage des voix de l’élection du 28 novembre 2010" ? C'est vrai que tant que Laurent Gbagbo n’aura pas été déclaré vainqueur de ce scrutin-là, il faudra recompter, recompter et encore recompter des bulletins qui, à l’heure où il les évoque depuis son bunker assiégé, n’existent peut-être même plus.


Non, Gbagbo n’est pas le Salvador Allende noir et personne ne devrait lui offrir sur un plateau d’or ce qu’il recherche : mourir sous les balles ou les bombes ennemies après s’être machiavéliquement fabriqué un faux destin de martyr du néocolonialisme. Je ne lui trouve qu’une issue, celle que redoute son épouse Simone Ehivet lorsqu’elle le soutient comme la corde soutient le pendu : la Cour pénale internationale, d’où il pourra nous expliquer comment on peut vouloir se battre pour la dignité de l’Afrique et des Africains et sacrifier autant de vies innocentes, rien que pour 5 petites années supplémentaires au pouvoir. Celui que l'une de ses anciennes victimes surnomma "le Boulanger" nous dira peut-être que 10 ans au pouvoir, dont 5 sous un mandat auto-octroyé moyennant un indéniable chef-d'oeuvre de "pâtisserie politicienne", ce n'est pas assez pour lutter contre le néocolonialisme et faire mieux que le plus illustre de ses prédécesseurs, Félix Houphouët-Boigny.


Aucun africain, que je sache, ne peut supporter l’ingérence illégitime des grandes puissances de ce monde dans les cuisines internes de nos jeunes États. Mais quand nos institutions régionales et sous-régionales étalent leur incapacité à résoudre pacifiquement nos affaires continentales et que d’enlisement en enlisement, un despote passé maître dans l'art de duper ses adversaires, invoque le soutien de Dieu tout en massacrant des civils sans défense, faut-il que le reste du monde détourne les yeux comme au Rwanda en 1994 ? Il se trouve que tout le monde veut que la démocratie devienne le maître mot en Afrique. Mais la question que l'on ne saurait éluder est : à quoi cela sert-il d'organiser des élections si coûteuses si celui qui est battu peut s'accrocher en utilisant la force contre une partie de son peuple ? C'est en cela que "le cas ivoirien" est un défi lancé à l'Afrique entière et son dénouement, quel qu'il soit, résonnera forcément comme un message à la fois aux oppresseurs et aux opprimés du continent.


Davantage de Mandela, Masire, A.T. Touré, moins de Mugabe, Kadhafi, Ggagbo …

Où sont les émules des Nelson Mandela, Ketumile Masire, Abdou Diouf, Amadou T. Touré, Mathieu Kérékou... qui acceptent de rendre le tablier dans la dignité après avoir servi leur pays et résisté à la tentation de donner un coup de bistouri à la constitution pour s'incruster ?


Je n’ai de la sympathie ni pour Nicolas Sarkozy ni pour Laurent Gbagbo, mais ce n’est pas parce que le premier déteste le second et veut qu’il « dégage » que je devrais, par un réflexe afrocentriste irraisonné, faire d’un voleur d’élection qui enfonce volontairement son pays dans le chaos, une soi-disant victime du néocolonialisme occidental. En un mot, les Africains n’ont pas besoin des néocolonialistes pour appeler un tyran par son nom. Le guinéen Dadis Camara était détesté de l’Élysée. Cela suffisait-il à en faire un anti-néocolonialiste ? À l’inverse, Nelson Mandela fut, du temps où il dirigeait l’Afrique du Sud et même à ce jour, adulé de Paris à Washington en passant par Oslo. A-t-il jamais été un vendu pour autant ? Sommes-nous condamnés à défendre l'indéfendable, juste pour le plaisir de faire un pied de nez à ceux qui - il ne s'agit pas ici de le nier - nous ont parfois traités très injustement ? N'existons-nous donc qu'à travers le prisme d'une confrontation victimaire où le premier tyran venu - hier Mugabe et Omar Béchir, aujourd'hui Gbagbo et Khadafi - est érigé en héro panafricain, pour peu qu'il crie au complot occidental contre la "libération" de l'Afrique ? Le temps n'est-il pas venu de rompre avec la stratégie du "bouc émissaire" systématiquement tournée vers l'extérieur et de faire comprendre à nos dirigeants que peu importe leur amitié ou inimitié avec les grands de ce monde, nous les jugerons à l'aune de leur capacité à garantir les droits fondamentaux de leurs peuples ?


Ah, j’oubliais : si vous croisez Calixthe Beyala, soufflez-lui que les premiers à avoir évoqué l’usage de la force contre Gbagbo et ses forces négatives ne sont pas des méchants Occidentaux habités par le démon du feu, mais bien la CÉDÉAO, une organisation dont le leadership est assuré un pays que nul ne saurait accuser d'être aux mains d'un pantin du locataire de l’Élysée, à savoir le Nigéria. Et à la cousine malienne qui battait le pavé hier à Paris aux cris de « Gbagbo, Président ! Sarkozy, assassin ! », dites que pour le même « crime », des femmes Ivoiriennes ont été liquidées à la roquette dans les rues d’Abobo, au coeur d'Abidjan. Sur ordre d’un « anti-néocolonialiste ». Elle en a, de la chance, de ne pas courir le même risque à Paris.