POURQUOI JE M'EN MÊLE ...

"NOUS SOMMES TOUS SOURDS QUAND CELA ARRANGE NOTRE BONHEUR. CELA REPOSE UN PEU DE NE PAS TOUT ENTENDRE" - Tahar Ben Jelloun

jeudi 10 novembre 2011

La responsabilité de protéger en droit international - Interview


Sur Radio Rfa (Ottawa), je réponds à quelques questions autour de la doctrine de la responsabilité de protéger (Responsibility to Protect) - déjà évoquée dans mon billet précédent - en écho à l'actualité internationale récente.

Vous pouvez l'écouter en vous rendant sur le site de l'Alliance des radios communautaires du Canada :

http://www.radiorfa.com/site/


À d'autres rendez-vous à venir !

vendredi 21 octobre 2011

Kadhafi assassiné, le CNT manque son rendez-vous test avec l’Histoire


Mouammar Kadhafi est mort. Comme un rat. Le fugitif aurait d’ailleurs été tiré d’un égout lui ayant servi de refuge près de Syrte, sa ville natale, jeudi 20 novembre. Il avait promis des « rivières de sang » à ceux qui le sommaient de « dégager », c’est dans une mare de sang, son propre sang, que le colonel bédouin qui s’était autoproclamé « Roi des rois Africains » a rendu son dernier souffle. “Il a rencontré son destin”, a dit un de ses anciens collaborateurs, aujourd’hui ambassadeur de la Libye à l’ONU. J’aurais pu me réjouir de la mort du tyran qui avait autant de sang sur les mains qu’il y a de l’or noir dans le désert de ce pays sous-peuplé qu’il avait transformé en prison à ciel ouvert. Mais il n'en est et n'en sera rien. La mort d’un être humain reste à mes yeux un événement malheureux en soi, mais ce n’est pas la seule raison du malaise qui m'a envahi en découvrant pour la première fois les images du défunt sur Aljazeera.

La résolution 1973 derrière laquelle s’est abrité l’OTAN pour mener les opérations militaires en soutien aux forces insurgées du CNT, reposait sur un principe de droit international qui, appliqué à bon escient, reste un impératif face à la tyrannie des Princes aliénés par l’usure du pouvoir : la responsabilité de protéger. Celle-ci se voulait le passage obligé pour que la Libye, une fois libérée de l’Ogre des Sables qui lui servait de Guide, retrouve le chemin de la justice, celui de l’État de droit. Les insurgés, sous le label du CNT, faisaient au reste du monde, je veux dire aux Occidentaux, la promesse des lendemains meilleurs. Ils promettaient un futur où le règne de l’arbitraire et les exécutions sommaires si chères à Kadhafi laisseraient la place à un État où les criminels présumés seraient traduits devant une justice indépendante, jugés, puis condamnés ou acquittés selon le cas. C’est en vertu de cet espoir en toile de fond du fameux « printemps arabe » que j’ai salué l’action de l’OTAN et souhaité, comme d’autres, la chute du dictateur. C’est en vertu de cet espoir que je me suis senti libyen le jour où Kadhafi s’est sauvé de son « imprenable » résidence de Bab al-Aziziya à Tripoli, tombée aux mains des insurgés venus de la Cyrénaïque. Force est de reconnaître qu’au lendemain de la mort du colonel mégalo, je ne suis pas plus rassuré et pour cause !

Pas de justice pour les ennemis de la justice ?

Avec les images du lynchage de Kadhafi après que ses ennemis l’aient capturé, je note que « la révolution libyenne » a manqué son rendez-vous test avec l’histoire de la Libye nouvelle qu’elle voudrait bâtir. Alors qu’ils avaient là l’occasion de prouver au peuple libyen, à l’Afrique et au reste du monde, que la nouvelle Libye réhabiliterait la justice et respecterait les droits de l’Homme, les nouveaux maîtres de Tripoli ont choisi la voie facile de la vengeance. Ils ont opté pour la voie périlleuse des exécutions extrajudiciaires que chérissait tant l’ancien despote qu’ils ont combattu pour ce motif précisément et pour d’autres motifs relevant tout autant de la barbarie. Qu’on ne vienne pas nous dire qu’une fois qu’ils avaient maîtrisé le fugitif, ils n’avaient aucun moyen de préserver sa vie. Les vidéos postées à tout va sur Internet se passent de commentaires. On y découvre ainsi que comme hier l’administration Obama, les hommes du CNT semblent convaincus que les cours et tribunaux sont faits pour des hommes sympathiques et que les méchants, tels Oussama Ben Laden ou Mouammar Kadhafi, ne méritent qu’humiliations et exécutions sommaires, loin des palais de justice. Après le bien connu « pas de liberté pour les ennemis de la liberté » de Saint-Just, place désormais au « pas de justice pour les ennemis de la justice ». Tout cela ne fait pas présager d’un avenir des plus rassurants dans la Lybie post-Kadhafi et je ne demande qu’à être contredit par l’histoire.

Par ailleurs, le peu de cas que font de cette mise à mort du dictateur libyen les dirigeants occidentaux que l’on sait grands donneurs de leçons de démocratie et des droits de l’Homme, est le signe que l’hypocrisie dans les relations internationales a encore de beaux jours devant elle. Pour qu’il n’y ait point ici de malentendu, je voudrais préciser que si je ne regrette pas la fin d’un despote sans foi ni loi, cela ne me dispense pas de poser un regard critique sur la manière dont cette fin a été obtenue. On peut en effet se réjouir de la chute d’un des dirigeants les plus sinistres que l’Afrique ait connu et regretter cependant que celui-ci n’aie pas eu, à l’instar de Laurent Gbagbo dont le dossier pénal est en cours d’instruction auprès de la CPI et de la justice ivoirienne, la possibilité d’être traduit devant ses juges pour répondre de ses actes. Quiconque emprunte à la tyrannie ses méthodes tout en prétendant offrir la liberté est un imposteur. Le combat pour le droit et la justice ne devrait avoir ni couleur ni odeur. Laisser agir contre cet idéal est le moyen le plus sûr de fragiliser nos propres droits et libertés.

jeudi 4 août 2011

Bachar Al-Assad, le tyran intouchable


Là où le Conseil de sécurité de l’ONU avait mis moins de deux mois avant d’adopter la Résolution 1973 autorisant l’usage de la force armée contre le régime de Mouammar Kadhafi, cinq mois et plus de 1.600 civils tués par la dictature héréditaire syrienne semblent insuffisants pour convaincre cette institution que la vie d’un Syrien n’est pas moins futile que celle d’un Libyen ou d’un Kosovar.

Et n’en déplaise aux pourfendeurs de « l’ingérence » occidentale prompts à condamner la politique de deux pois deux mesures des puissances occidentales – critiques souvent justifiées, certes – force est de constater que cette fois, l’empêcheur d’empêcher en paix a pour nom la mauvaise foi, voire le cynisme de la communauté internationale dans son ensemble. Il y a d’abord les Russes et les Chinois, amis inconditionnels du régime de Damas. Moscou et Pékin auront pesé de tout leur poids au sein du Conseil pour, dans un premier temps, refuser de condamner sans atermoiements le carnage à huis-clos orchestré par le fils Assad et dans un deuxième temps – le scandale étant devenu par trop évident – de confiner l’ONU dans une posture tenant de la plus haute tartuferie. En effet, qu’est-ce que c’est que ce consensus mou auquel le Conseil a abouti hier mercredi 3 août et qui consiste à adopter une Déclaration, dont la force est de loin moins contraignante que celle d’une Résolution, condamnant le régime sanguinaire syrien ? Est-ce faute de savoir que sur le terrain, malgré l’absence des journalistes étrangers déclarés pour des raisons évidentes persona non grata par les officiels, les chars déployés par centaines dans les villes et aux frontières, répriment dans le sang un mouvement populaire qui a pour vocation légitime de vouloir se défaire d’une tyrannie ?

Il faut rappeler qu’un projet de résolution déposé par la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, le Portugal, et appuyé par les Etats-Unis, s'était heurté à la menace de veto de la Russie et de la Chine, elles-mêmes soutenues par plusieurs autres pays. Mais si l'aggravation des violences a finalement convaincu les membres du Conseil de prendre position, c’est en bottant en touche que les uns et les autres ont fait semblant de se remuer. D’où la Déclaration, pas plus dissuasive pour Bachar Al-Assad que ne l’eût été une bulle papale de Benoît XVI depuis le Vatican. On attendait au minimum des sanctions économiques du type gel des avoirs gardés à l’étranger à l’encontre du tyran et de son cercle rapproché, on a eu droit à une condamnation du bout des lèvres doublé d’une parodie d’appel à « mettre en œuvre les réformes démocratiques promises » ! On dirait un appel du Congrès américain au gouvernement israélien à cesser la colonisation en Palestine. Ca ne mange guère de pain. Juste bon pour donner du change, sauver la face.

De fait, le malheur des Syriens, c’est que cette fois, Occidentaux et non-Occidentaux croient pour des raisons divergentes mais aux conséquences tristement déplorables, que le statu quo à Damas fait davantage leurs affaires qu’un remodelage du paysage politique d’une région connue pour être le talon d’Achille de la paix et de la sécurité internationales, avec en toile de fond le conflit israélo-arabe. C’est ainsi que les Occidentaux ont peur d’un après-Al Assad qui accoucherait d’une instabilité régionale dont l’allié israélien ferait les frais (à la différence de l’Égypte qui a signé un traité de paix avec l’État hébreux, la Syrie est toujours théoriquement en guerre avec son voisin du sud-ouest qui occupe partiellement le Golan). Les pays du BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) sont quant à eux motivés dans leurs manœuvres à la fois par des considérations économiques à l’égard d’un partenaire en affaires et par un calcul de pure stratégie consistant à ne pas laisser l’OTAN bouleverser le rapport des forces à grande échelle à leur détriment ou sans qu’ils n’obtiennent en retour des gains politiques jugés substantiels. L’attitude la plus déplorable, selon moi, est celle de la Ligue arabe. Prompte à condamner le dictateur libyen au moment où celui-ci promettait à son peuple « des rivières de sang », la Ligue vient nous dire, par la bouche de son Secrétaire général Amr Moussa, qu’il n’appartient à aucune instance internationale de déclarer « illégitime » un gouvernement étranger, en l’occurrence celui de la Syrie, fut-il déterminé à massacrer son propre peuple. La ligue est prise au piège de ses dissensions internes entre tenants de la ligne dure et partisans d’une solution dite politique ménageant Al-Bachar au nom du risque d’une implosion interne. Autant de raisons qui se muent en déraison et finissent par être interprétées par le dictateur comme un permis illimité de massacrer en paix.

La seule chose, me semble-t-il, qui puisse réellement pousser les uns et les autres à faire passer « la responsabilité de protéger » devant les calculs politiciens, reste la mobilisation de l’opinion internationale, autrement dit la solidarité citoyenne active. À l’ère du web 2.0, là où la volonté politique bégaie, l’activisme citoyen à grande échelle devrait être plus que jamais le fer de lance de la « non-indifférence ». Il faut des « flottilles de la paix » pour la Syrie, il faut des BHL pour la Syrie, il nous faut prendre la parole par tous les moyens et dire à nos dirigeants : « Nous sommes tous des Syriens ! ». C’est trop facile de se cacher derrière la belle règle de non ingérence lorsqu’on n’est pas en danger soi-même et qu’on a le luxe de commenter les violations des droits de l’Homme derrière son écran de télé comme s’il s’agissait d’une banale partie de tauromachie. Mais force est de constater que cet été, les bonnes causes manquent cruellement de relais citoyen. Ni la famine qui frappe actuellement la corne de l’Afrique ni la Syrie ne réussissent à troubler nos vacances ensoleillées. Combien de temps cela durera-t-il ?

La résolution du Conseil de sécurité sur la situation politique en Libye peut être lue ici : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2011/03/18/le-texte-de-la-resolution-sur-le-libye_1494976_3212.html

mercredi 6 avril 2011

Laurent GBAGBO ou l'art de se fabriquer un destin de martyr anti-néocolonialiste

Ce troisième "post" consacré à la crise ivoirienne m'est dicté par deux impératifs : faire écho à ceux qui veulent "sauver le soldat Ggagbo" et accessoirement, exposer à l'intention de certains de mes amis - qui se reconnaîtront - les raisons qui me font dire que les premiers cités se trompent de combat, alors que l'idéal démocratique et les droits de l'Homme se meurent en Afrique. Un échec qui se nourrit de la stratégie du "bouc émissaire" que les Africains doivent impérativement abandonner pour devenir exigeants vis-à-vis de leurs dirigeants.


La grande fimusterie


L’homme n'a rien à envier à un Robert Mugabe et pourtant, il a réussi à faire croire à une partie de l’opinion, en particulier certains intellectuels Africains que l’on peut croiser dans les capitales du Nord (traduisez : loin de la chienlit instaurée dans leurs pays d’origine respectifs par des despotes qui ressemblent au "bunkérisé d'Abidjan"), qu’il est le nouveau Patrice Lumumba, un autre Thomas Sankara, le kaki et le béret en moins. Il s’est construit une image de tombeur de la « Françafrique » et autres avatars d’un néocolonialisme bien réel, alors que rien, dans son action à la tête de la Côte d’Ivoire, ne confère le moindre crédit à ce qu’il raconte à son monde.


Les entreprises françaises qui incarnent, comme on le sait, l’épine dorsale de la nébuleuse chère au Général de Gaulle (Bouygues, Bolloré, Total et SPIE en tête), déjà maîtresses du jeu économique en Éburnie sous Félix Houphouët Boigny, ont continué sous les Refondateurs à tenir la dragée haute aux nouveaux venus, Chinois compris. Laurent Gbagbo n’y a rien changé, leur concédant au contraire de nouveaux marchés publics juteux, notamment dans le domaine des hydrocarbures et des grands travaux publics. Cherchez l’erreur…

Durant la dernière présidentielle de tous les malheurs, Laurent Gbagbo a été le seul candidat à avoir payé une fortune à des instituts de sondages français, ainsi qu’à des officines de communication tout aussi françaises, pour que son slogan « On gagne ou on gagne ! » se transforme en réalité. Avec les résultats que l’on sait. Le seul candidat aussi à avoir battu campagne flanqué d’anciens dirigeants socialistes français, pour ne citer que son ami Jack Lang que j'ai vu esquisser quelques pas de "coupé décalé" lors d'un meeting LMP à Yopougon (lequel Jack Lang lui a, depuis, vivement conseillé de reconnaître sa défaite et d’en tirer les conséquences) ! Imaginez si, en face, Alassane Ouattara, peint par lui comme « l’Homme des Occidentaux », avait osé inviter dans sa tournée transivoirienne un de ses anciens amis des années FMI - Tiens, un Sénateur américain par exemple !


Et c’est encore Laurent Gbagbo qui, lorsque survient la crise postélectorale voulue et planifiée par lui, court chercher pour défendre sa cause burlesque, deux Avocats français. Et pas n'importe lesquels : rien de moins que l'inoxydable Jacques Vergès et Roland Dumas ! Mais c’est vrai que des Avocats rompus au droit international, il faudrait en trouver sur le continent.


Ses défenseurs (les Écrivains guinéen Thierno Monenembo et franco-camerounaise Calixthe Beyala, l’historienne et ancienne Première dame du Mali Adame Ba Konare, entre autres célébrités noires), essayent de convaincre tous ceux qu’ils peuvent, avec une bonne foi que je ne leur dénie pas, que Gbagbo est un panafricaniste doublé d’un anti-néocolonialiste. Ils nous le vendent volontiers comme un Lumumba bis, un Amilcar Cabral en civil, qui se battrait pour ce que l’intéressé appelle « la deuxième indépendance » africaine. J'aimerais tellement que cela soit vrai, tant l'Afrique a besoin d'un vrai leadership qui tourne le dos aux "petits arrangements entre amis" auxquels nous ont habitués les acteurs des relations Nord-Sud en un demi-siècle d'indépendance politique des États africains. Seulement, là encore, les faits parlent contre leur champion. Et que disent les faits, pour n’en prendre d'ailleurs que quelques uns ?


Depuis 2000, année de son arrivée au pouvoir (à la suite d’une élection où, déjà, son rival le plus sérieux fut arbitrairement mis hors-course par un tripatouillage constitutionnel qui arrangeait presque tout le monde à Abidjan), les ressortissants des pays africains frontaliers à la Côte d’Ivoire connaissent l’enfer dans la partie du pays contrôlée par les forces qui lui sont fidèles, parmi lesquelles la fameuse galaxie des « Jeunes patriotes ». La raison : Gbagbo et ses thuriféraires dont le sinistre Charles Blé Goudé, les ont constamment désignés, sans atermoiements, comme le cancer dont il faut extirper le pays pour renouer avec la paix et la prospérité. Qui n’a pas entendu parler des chasses à l’homme menées dans Abidjan, contre les sujets Burkinabé, Maliens ou autres Ghanéens, après la tentative de coup d’État de 2002 et même au moment où ces mots sont mis en ligne ? Combien, parmi eux, ont été sacrifiés sur l'autel de la haine et de la xénophobie distillées à longueur des journées sur les ondes de la radio-télévision gbagbiste ? C’est donc cela, le panafricanisme et la restauration de l’honneur de l’Afrique que nous assène l’ancien professeur d’Histoire ?


Enfermé dans une logique du « moi ou le chaos », Ggagbo a transformé la FESCI (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire) en une milice au-dessus de toutes les lois, et n'a pas hésité à armer celle-ci ni à lui donner un blanc-seing total pour semer la terreur sur les campus universitaires ivoiriens, pour le malheur de ceux qui n’adhèrent pas à sa cause, tout particulièrement s’ils ont le tort de porter un nom dioula. Vous avez dit « un modèle pour la jeunesse africaine » ?

On attendrait d’un anti-néocolonialiste qu’il garde l’argent et les biens gagnés en toute légalité dans son pays ou à défaut sur le continent, afin de contribuer à l’essor économique qui fait tant défaut à nos États nourris aux mamelles d’une aide internationale sujette à caution. Ni Gbagbo ni ses amis et collaborateurs qui partagent sa soi-disant idéologie anti-néocolonialiste ne se sont pourtant gênés de placer leur fortune aux origines pour le moins douteuses bien à l’abri du regard de l’Ivoirien lambda, dans ces mêmes pays qu’ils haïssent tant et dont ils disent combattre l’hégémonie. À moins que les sanctions européennes et onusiennes de gels des avoirs prises contre l’ancien Président, son épouse et ses affidés soient décrétées contre une fiction ?


Last but not least, on attendrait aussi d’un panafricaniste qu’il sache écouter les avis et conseils de ses pairs africains lorsque surgit un conflit interne dont il veut éloigner les « méchants » néocolonialistes français et américains. Et s’agissant de la crise en cours, que lui disent la CÉDÉAO et l’UA d’une seule voix ? Cette chose toute simple : « Nous avons écouté toutes les parties au conflit pendant quatre mois, tenté de cerner le fondement de l’invalidation par ton ami de la Cour constitutionnelle des centaines de milliers de voix des électeurs Ivoiriens en violation flagrante du Code électoral, nous avons tenté de te trouver des circonstances atténuantes, mais nous n’avons rencontré que cette évidence aussi têtue que dérangeante : tu as perdu les élections et ta tentative de te maintenir par la force et la ruse est lourde de conséquences pour ton peuple. Voici la sortie, cher ami. Il n'y a aucune honte à perdre une élection ». Parmi ces voix désespérées, celle d’un ami de l’ex-Président ivoirien, un certain Jacob Zuma qui aurait confessé en privé, en marge du dernier sommet à Addis-abeba, sa déception d'avoir été dupé par son ex-protégé.


Que dire de plus ? Que dire, lorsque ni la négociation ni l’usage légitime de la force pour arrêter un homme qui fait tirer à l’arme lourde sur les populations civiles qu'il est censé protéger, ne donnent aucun résultat ? Que dire, lorsqu’à ceux qui lui demandent de partir, ne serait-ce pour l’intérêt de son peuple qu’il dit tant aimer, ce « Machiavel des marais » trouve assez de lucidité dans sa folie pour déclarer, sur les ondes de la chaîne française LCI : "Je demande le recomptage des voix de l’élection du 28 novembre 2010" ? C'est vrai que tant que Laurent Gbagbo n’aura pas été déclaré vainqueur de ce scrutin-là, il faudra recompter, recompter et encore recompter des bulletins qui, à l’heure où il les évoque depuis son bunker assiégé, n’existent peut-être même plus.


Non, Gbagbo n’est pas le Salvador Allende noir et personne ne devrait lui offrir sur un plateau d’or ce qu’il recherche : mourir sous les balles ou les bombes ennemies après s’être machiavéliquement fabriqué un faux destin de martyr du néocolonialisme. Je ne lui trouve qu’une issue, celle que redoute son épouse Simone Ehivet lorsqu’elle le soutient comme la corde soutient le pendu : la Cour pénale internationale, d’où il pourra nous expliquer comment on peut vouloir se battre pour la dignité de l’Afrique et des Africains et sacrifier autant de vies innocentes, rien que pour 5 petites années supplémentaires au pouvoir. Celui que l'une de ses anciennes victimes surnomma "le Boulanger" nous dira peut-être que 10 ans au pouvoir, dont 5 sous un mandat auto-octroyé moyennant un indéniable chef-d'oeuvre de "pâtisserie politicienne", ce n'est pas assez pour lutter contre le néocolonialisme et faire mieux que le plus illustre de ses prédécesseurs, Félix Houphouët-Boigny.


Aucun africain, que je sache, ne peut supporter l’ingérence illégitime des grandes puissances de ce monde dans les cuisines internes de nos jeunes États. Mais quand nos institutions régionales et sous-régionales étalent leur incapacité à résoudre pacifiquement nos affaires continentales et que d’enlisement en enlisement, un despote passé maître dans l'art de duper ses adversaires, invoque le soutien de Dieu tout en massacrant des civils sans défense, faut-il que le reste du monde détourne les yeux comme au Rwanda en 1994 ? Il se trouve que tout le monde veut que la démocratie devienne le maître mot en Afrique. Mais la question que l'on ne saurait éluder est : à quoi cela sert-il d'organiser des élections si coûteuses si celui qui est battu peut s'accrocher en utilisant la force contre une partie de son peuple ? C'est en cela que "le cas ivoirien" est un défi lancé à l'Afrique entière et son dénouement, quel qu'il soit, résonnera forcément comme un message à la fois aux oppresseurs et aux opprimés du continent.


Davantage de Mandela, Masire, A.T. Touré, moins de Mugabe, Kadhafi, Ggagbo …

Où sont les émules des Nelson Mandela, Ketumile Masire, Abdou Diouf, Amadou T. Touré, Mathieu Kérékou... qui acceptent de rendre le tablier dans la dignité après avoir servi leur pays et résisté à la tentation de donner un coup de bistouri à la constitution pour s'incruster ?


Je n’ai de la sympathie ni pour Nicolas Sarkozy ni pour Laurent Gbagbo, mais ce n’est pas parce que le premier déteste le second et veut qu’il « dégage » que je devrais, par un réflexe afrocentriste irraisonné, faire d’un voleur d’élection qui enfonce volontairement son pays dans le chaos, une soi-disant victime du néocolonialisme occidental. En un mot, les Africains n’ont pas besoin des néocolonialistes pour appeler un tyran par son nom. Le guinéen Dadis Camara était détesté de l’Élysée. Cela suffisait-il à en faire un anti-néocolonialiste ? À l’inverse, Nelson Mandela fut, du temps où il dirigeait l’Afrique du Sud et même à ce jour, adulé de Paris à Washington en passant par Oslo. A-t-il jamais été un vendu pour autant ? Sommes-nous condamnés à défendre l'indéfendable, juste pour le plaisir de faire un pied de nez à ceux qui - il ne s'agit pas ici de le nier - nous ont parfois traités très injustement ? N'existons-nous donc qu'à travers le prisme d'une confrontation victimaire où le premier tyran venu - hier Mugabe et Omar Béchir, aujourd'hui Gbagbo et Khadafi - est érigé en héro panafricain, pour peu qu'il crie au complot occidental contre la "libération" de l'Afrique ? Le temps n'est-il pas venu de rompre avec la stratégie du "bouc émissaire" systématiquement tournée vers l'extérieur et de faire comprendre à nos dirigeants que peu importe leur amitié ou inimitié avec les grands de ce monde, nous les jugerons à l'aune de leur capacité à garantir les droits fondamentaux de leurs peuples ?


Ah, j’oubliais : si vous croisez Calixthe Beyala, soufflez-lui que les premiers à avoir évoqué l’usage de la force contre Gbagbo et ses forces négatives ne sont pas des méchants Occidentaux habités par le démon du feu, mais bien la CÉDÉAO, une organisation dont le leadership est assuré un pays que nul ne saurait accuser d'être aux mains d'un pantin du locataire de l’Élysée, à savoir le Nigéria. Et à la cousine malienne qui battait le pavé hier à Paris aux cris de « Gbagbo, Président ! Sarkozy, assassin ! », dites que pour le même « crime », des femmes Ivoiriennes ont été liquidées à la roquette dans les rues d’Abobo, au coeur d'Abidjan. Sur ordre d’un « anti-néocolonialiste ». Elle en a, de la chance, de ne pas courir le même risque à Paris.