POURQUOI JE M'EN MÊLE ...

"NOUS SOMMES TOUS SOURDS QUAND CELA ARRANGE NOTRE BONHEUR. CELA REPOSE UN PEU DE NE PAS TOUT ENTENDRE" - Tahar Ben Jelloun

jeudi 26 février 2009

DOCTEUR SARKOZY AU CHEVET DU "VENTRE MOU" DE L'AFRIQUE : REMÈDE-MIRACLE OU MIRAGE D'UN NÉO-COLONIALISME QUI N'A PAS FROID AUX YEUX ?



Arrêt sur les "Propositions françaises sur le retour de la paix et de la stabilité dans la région des Grands Lacs"

Le Président Français, dont les sorties hasardeuses sur les questions africaines font désormais florès - on se souviendra des vagues provoquées par le fameux Discours de Dakar et l’assertion selon laquelle « l’Homme africain n’est pas encore suffisamment entré dans l’Histoire » (voir photo) - a encore suscité la polémique lors de son message, le 16 janvier dernier, à l’occasion du traditionnel échange de vœux avec le corps diplomatique accrédité à Paris. Ce jour-là, Nicolas Sarkozy avait décidé de dévoiler ses idées sur la situation critique de l’Est du Congo-Kinshasa et par extension, sur l’instabilité dans la région des Grands Lacs. Il avait ainsi évoqué "la place, la question de l'avenir du Rwanda, pays à la démographie dynamique et à la superficie petite" et "la question de la RDC, pays à la superficie immense et à l'organisation étrange des richesses frontalières". Dans une formule des plus sibyllines, le Chef de l’Etat Français avait plaidé pour une "nouvelle approche" pour régler "de façon globale" les problèmes d'instabilité dans la région des Grands Lacs, devenue le "ventre mou" du continent.
Ces propos avaient suscité une vive polémique en R.D.C. et au sein de la diaspora congolaise, la presse kinoise parlant de projet de balkanisation du pays, au centre de guerres régionales en 1996-1997 et 1998-2003, avant l’épisode actuelle où la rébellion menée hier par un certain Laurent N'kunda – aujourd’hui « arrêté » au Rwanda – passe aux yeux de beaucoup de Congolais pour un épisode de plus dans une macabre saga dont le bénéficiaire immédiat serait le Rwanda. Dans les coulisses des diplomaties française et congolaise, s’ébruitait néanmoins la visite prochaine, courant mars 2009, de Nicolas Sarkozy à Kinshasa. On sait, depuis, que la date du 19 mars a été avancée. Kinshasa où des parlementaires de l'opposition s'étaient dits hostiles à la prochaine visite de « l’Omniprésident » Français, "pour autant qu'elle met en danger les intérêts fondamentaux du peuple congolais". A ceux qui l’interrogeaient, fin janvier, sur les propos de son homologue français, le Président Congolais Joseph Kabila s'était borné à souligner que "les décisions congolaises se prennent ici, pas à Bruxelles, ni à Paris ou Washington". Je vous laisse deviner quelle aurait été, dans les mêmes circonstances, la réponse d’un Abdoulaye Wade ou pire, celle d’un Robert Mugabe – deux Chefs d’Etat avec qui je suis pourtant bien loin d’être d’accord sur tous les points - si cela avait concerné la souveraineté du Sénégal ou du Zimbabwe. Mais là n’est peut-être pas le plus important, Joseph Kabila nous a, hélas, habitués à un style de gouvernance d’une illisibilité souvent déconcertante.
Vous avez dit "quiproquo" ?

Qu’à cela ne tienne donc, l’Elysée, « surpris » par l’interprétation que les Congolais auraient donnée aux propos du Président, a voulu calmer les esprits et rassurer les critiques. Dans une interview qu’il vient d'accorder à la presse écrite congolaise et relayée par l'AFP, Nicolas Sarkozy se défend de prôner le démembrement de la R.D.C. et va jusqu’à marteler que "la souveraineté de la RDC et l'intangibilité de ses frontières sont des principes sacrés. Si un pays continuera de se battre pour garantir leur plein respect, ce sera bien la France". On aurait presque envie de se lever pour une standing ovation.

À mon avis, plusieurs lectures peuvent être faites des positions du Président Français, à l'aune des propos tenus en janvier devant les diplomates puis, deux mois plus tard, devant les médias congolais. D’aucuns pourraient se pencher – si ce n’est déjà fait – sur une possible ambivalence de Sarkozy pour y rechercher la véritable intention d’un Chef d’Etat à la tête d’une ancienne puissance coloniale, par ailleurs incapable de véritablement rompre avec la nébuleuse Françafrique. D’autres pourraient s’attarder sur l’existence réelle ou supposée d’un complot international visant effectivement à démembrer un pays immensément riche potentiellement, mais si mal géré depuis des décennies que sa faiblesse extrême en tant qu’Etat laisse libre cours au mercantilisme trans-national et à l’aventurisme politique des plus affligeants, au cœur d’un continent qui espère toujours le réveil de ce géant trop longtemps assoupi.

Pour ma part, j’ai choisi de laisser à Nicolas Sarkozy, ne serait-ce provisoirement, le bénéfice du doute. Loin d'être synomyme de duplicité, cette position est celle que suggère l'adage du droit coutumier mbala qui recommande au juge devant qui se présente un sot qui ne sait pas tenir sa langue, de rendre justice à celui-ci en le tenant par sa propre turpitude, ne reposant son verdict que sur les allégations, fallacieuses ou véridiques, que le sujet sort lui-même de sa bouche ("Mbi ufuda guda, am'ifuda guyidika"). Ainsi, laissant à d'autres le soin de sonder les reins de Sarkozy, j'ai choisi de m'en tenir au verbe et rien qu'au verbe, me penchant sur les mots que sort le locataire de l'Elysée, lorsqu'il tente de se justifier, de s'expliquer. C'est dans cet esprit que j’aimerais vous inviter à vous pencher sur le contenu des idées qu’il évoque à l’appui de sa volonté déclarée de contribuer, au nom de la France, au retour de la paix et de la stabilité dans la région des Grands Lacs. Ces idées sont contenues dans un document récemment concocté par les services du Président Français intitulé « Propositions françaises sur le retour de la paix et de la stabilité dans la région des Grands Lacs ». Je vous en reproduis la quintessence, ci-dessous, avant de vous inviter à livrer vos avis :

"1) Les violences perpétrées ces derniers mois à l'Est de la RDC apparaissent comme le quatrième épisode, en 10 ans, d'un «même conflit» dont les causes sont profondes: économiques (les richesses congolaises attirent toutes les convoitises tout en nourrissant la guerre), politiques, foncières, etc.
A l'exception du soutien à la transition démocratique, la communauté internationale n'a jamais réussi à apporter les réponses adéquates à ces enjeux de fond. Son approche fut largement segmentée (absence de vision globale), inconstante (relatif désengagement en dehors des périodes de crise médiatisées), voire superficielle. Il convient de revoir la stratégie comme les méthodes.
2) L'approche française repose sur quatre principes:
- Les frontières de la RDC sont intangibles et sa souveraineté inviolable. La France n'a jamais cessé de défendre, à titre national comme dans les enceintes multilatérales, l'intégrité territoriale de la RDC.
- Une paix durable ne peut reposer que sur des choix politiques concertés, dans le respect des souverainetés nationales. Les options militaires ne régleront jamais les causes profondes du conflit.
- Un règlement de la crise suppose une démarche globale et cohérente. Les propositions doivent être réalistes et concrètes.
- La méthode est un enjeu majeur. La concertation, le dialogue, le pragmatisme, l'expérimentation et l'appropriation par les Congolais eux-mêmes et les pays de la région sont des éléments fondamentaux.
3) Dans ce cadre, le schéma proposé comporterait deux grands axes :
a) Premier axe: Appuyer un mécanisme efficace de règlement des conflits fonciers et inter-communautaires au Nord-Kivu.
Les actes de Goma ont permis aux différents acteurs congolais d'évoquer leurs différends. Il convient aujourd'hui de les régler concrètement. Les chefs traditionnels, les Eglises et la société civile ont un rôle déterminant à jouer, avec le soutien de la communauté internationale.
b) Deuxième axe : engager les pays de la région dans une logique de coopération économique pacifique.
Dans la région des Grands Lacs, il est nécessaire de: i) casser l'économie de guerre à l'oeuvre depuis plus de 10 ans; ii) créer les conditions nécessaires pour que les acteurs aient davantage intérêt à la paix qu'à la poursuite du conflit.
Le principe de l'intangibilité des frontières n'est en rien incompatible avec une logique de développement commun. Cette démarche de long terme a déjà fait ses preuves en Europe au lendemain de la seconde guerre mondiale (Communauté Economique du Charbon et de l'Acier).
L'objectif est, non pas d'engager une logique - inacceptable - d'un quelconque partage des richesses, mais de favoriser la mise en valeur du potentiel de la RDC et de la région et de développer des projets fédérateurs.
Un cadre régional existe déjà: la Communauté Economique des Pays des Grands Lacs (CEPGL). Il s'agit non pas de le remettre en cause mais de le revivifier par la mise en place de nouveaux projets de développement concrets: - Une agence inter-étatique d'aménagement régional. Elle serait un lieu de coopération et d'échanges pour favoriser, avec l'appui des bailleurs de fonds, le développement des réseaux d'infrastructures (routes, ponts) essentiels à la croissance des échanges régionaux
Une Chambre Régionale de Commerce, d'Industrie, des Mines et d'Agriculture. Elle permettrait d'apporter plus de transparence dans la gestion globale des ressources de la région, d'organiser les filières (par exemple pour les céréales, les oléagineux et le bétail), de mobiliser les capitaux nécessaires à leur mise en valeur et de fédérer les énergies des acteurs publics et privés.
Une concertation régionale en matière règlementaire : contrôle et lutte contre la fraude, coopération douanière, mécanismes de certification, harmonisation de la fiscalité aux frontières.
- Des projets structurants à vocation régionale: il s'agirait d'investir, dans un cadre concerté, dans les domaines de l'énergie, de l'eau, de la santé, des télécommunications et de la sécurité alimentaire. Le développement du barrage de la Ruzizi ou l'exploitation du gaz du Lac Kivu est déjà au programme de la CEPGL. Mais d'autres projets, plus modestes mais réalisables à plus court terme, pourraient être envisagés, par exemple des micro-barrages (50 à 200000 dollars) dans la plaine de la Ruzizi.
Une coopération trans-nationale pour la protection du patrimoine naturel et de la faune (parc des Virunga par exemple).
Cette approche coopérative dans la gestion du développement régional irait de pair avec la réaffirmation du principe de libre-circulation des personnes, inscrite dans les statuts de la CEPGL et déjà à l'oeuvre sur le terrain.
4) Cette approche globale ne peut être qu'une oeuvre de longue haleine. Elle suppose certains préalablesà court terme :
- La réaffirmation de la souveraineté et de la pleine autorité de la RDC sur son territoire et ses richesses. - Une garantie de sécurité pour le Rwanda: c'est la question des FDLR.
- Le retour de la paix: les milices rebelles doivent déposer les armes; chaque acteur concerné doit contribuer en ce sens.
5) Plus important encore, le rétablissement de la confiance dans la région, à tous les niveaux, est un enjeu essentiel: condition d'une coopération réussie, elle est aussi un objectif-clef de la démarche proposée. Conclusions:
- La RDC est et restera le pays-pivot de la région. La paix et la stabilité dans les Grands Lacs supposent: a) la consolidation des structures étatiques congolaises et son développement économique, b) une dynamique de coopération régionale.
- L'approche française n'a pas vocation à être imposée de l'extérieur. Il appartient aux pays et aux populations de la région de se l'approprier, d'en débattre, de l'enrichir.
- La démarche se veut progressive - les progrès se feront nécessairement par étapes - et pragmatique: les projets de développement ou les logiques de concertation doivent concerner les pays qui le souhaitent et qui y trouvent un intérêt pratique: la RDC, le Rwanda, mais aussi le Burundi, l'Ouganda, la Tanzanie, etc.
- Il convient de faire émerger un consensus général: les pays de la région (gouvernements, parlements, élus locaux, société civile, populations locales), la communauté africaine et internationale, les donateurs, l'Onu, le PNUD, les institutions financières internationales doivent travailler ensemble et dans une même direction."


Alors, remède-miracle ou mirage dans un conflit dont la complexité et les agendas des protagonistes ne sont pas toujours ce qu’il y a de plus rassurant ? Mon avis personnel est que ce n’est ni l’un ni l’autre. Je crois que Sarkozy enfonce ici une porte ouverte que bien d’analystes de cette région ont depuis longtemps mise en exergue, mais que l’absence de volonté et de courage politiques ont empêché de considérer véritablement en vue d’une mise en œuvre effective : l’avenir est à l’intégration économique régionale, comme dans l’espace CEDEAO, pour ne citer que l’exemple le plus viable sur le continent, sans aller chercher l'Europe. Mais en même temps, et c’est le plus important, cette intégration doit avoir pour préalable le retour de la paix. Nicolas Sarkozy le dit certes, mais ce qu'il effleure à peine, c'est que parler du retour de la paix dans cette région, c'est exiger non seulement le renoncement par les pays africains concernés à la tentation de déstabilisation mutuelle, mais aussi, parallèlement, l'abandon par certains « parrains » occidentaux connus de tous, de ce double langage qui peine à voiler la sponsorisation par eux des combines militaro-maffieuses qu'ils font semblant de dénoncer. Qui pourrait nier le rôle néfaste joué dans cette crise par Londres et Washington (sous George W. Bush), soutiens inconditionnels de Paul Kagame ? L’idée longtemps différée d’une Conférence internationale sur la région des Grands Lacs prend ici, plus que jamais, son sens. Elle permettrait à la fois de mettre en lumière les responsabilités des acteurs officiels et occultes de ce conflit afin de dissiper l'écran de fumée qui entourre l'échiquier sous-régional, et d'intégrer dans la gestion de la problématique de la paix, plus d’un joueur qui ne se retrouve pas au sein de la CEPGL, clé de voûte du « Plan Sarkozy » - Je pense à l’Ouganda et à l'Angola, notamment.
Sur le plan technique, les pistes avancées en termes des champs et mécanismes de coopération ne manquent pas d’intérêt, mais elles ne peuvent être vues que comme des ébauches à partir desquelles les pays concernés, aidés par la communauté internationale – aux premiers rangs de laquelle les Etats Africains non impliqués dans la crise sous-régionale – pourraient définir et mettre en œuvre ce qui satisfait le mieux leurs intérêts réciproques, autrement dit ceux de leurs peuples. Si je continue à lui laisser le bénéfice du doute, je dirais que Sarkozy aura compris le bienfondé d'une approche "afrocentriste" de toute entreprise de dénouement durable de cette crise, lorsqu’il dit : « l'approche française n'a pas vocation à être imposée de l'extérieur. Il appartient aux pays et aux populations de la région de se l'approprier, d'en débattre, de l'enrichir ». Au-delà d'un possible machiavélisme du dirigeant francais qui n'a, en tout état de cause, aucune raison d'aimer l'Afrique plus que les Africains eux-mêmes, s’approprier un tel processus et a fortiori son contenu ultime, tel est le défi à relever par les classes politiques et les sociétés civiles des pays concernés. La R.D.C., pays qui a payé et qui paie encore le plus lourd tribut à ce conflit qui n'en finit pas de finir, devrait être le premier à le comprendre. Maintenant ou jamais. Et c'est le moins que l'on puisse attendre d'elle.


3 commentaires:

  1. Bonjour Blaise !
    Je vous suis depuis que vous avez lancé votre blog et aimerais vous en féliciter. Les sujets sont pertinents et (ce qui ne m'étonne pas de vous) les analyses ou pistes de réflexion volent assez haut, rien à avoir avec les blablabla partisans de certains blogs consacrés à l'Afrique ou au Congo (que j'ai déserté parce que je finissais toujours par m'énerver devant les *&¨"!#«$ de toutes sortes). Bonne continuation, je serai un des fidèles à venir "palabrer" ici, tant que vous vous intéresserez aux sujets qui valent la peine. Pour parler de Sarkozy, je n'ai que deux mots à lui dire : qu'il se préoccupe du sort des Guadéloupéens et des Martiniquais qui sont les enfants mal aimés de la France, qu'il dise à ses amis Britaniques et Américains (puisqu'il a dit être le pote de Obama) de ne plus soutenir la politique va-t-en-guerre du régime tutsi de Kigali et il verra que tout ce qu'il raconte, les Africains et les Congolais le savent mieux que ses conseillers. Sans les manipulations des occidentaux et les coups tordus des multinationales euro-américaines, l'Afrique des Grands Lacs ne serait pas ce qu'elle est. Alors, donner des bonnes lecons de Docteur sans faire un diagnostic complet, c'est se moquer du monde !
    Bonne semaine en plein hiver canadien !
    À +

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  2. Blaise !

    Enfin je te retrouve, merci au blogue d'AS.

    A bientôt !

    Line Hamel

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  3. @ Ramsès de Lausanne :
    Merci pour le soutien. Je comprends votre colère contre Sarkozy et je suis avec intérêt l'issue du conflit social qui a dégénéré dans les DOM-TOM francais. Ici, vous l'aurez compris, j'ai juste pris le parti de me pencher sur les "propositions" qu'il livre aux acteurs de la sous-région. Revenez quand vous voulez, vous êtes chez vous ici, comme dit la formule consacrée !

    @ Line H. :
    Ravi de votre passage. À bientôt sur l'une des trois "autoroutes" et prenez bien soin de vous en terre de Gaule !

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