POURQUOI JE M'EN MÊLE ...

"NOUS SOMMES TOUS SOURDS QUAND CELA ARRANGE NOTRE BONHEUR. CELA REPOSE UN PEU DE NE PAS TOUT ENTENDRE" - Tahar Ben Jelloun

dimanche 15 février 2009

OBAMA OU LE RÊVE INACCESSIBLE À L'AFRIQUE

Vivant dans la capitale canadienne, je ne suis pas insensible à l’actualité locale qui est nourrie depuis quelques jours par l’arrivée prochaine à Ottawa, jeudi 19 février 2009, du nouveau Président américain qui perpétuera avec ce premier voyage officiel chez ses voisins du Nord, une longue tradition américaine. Mais ce dont je voudrais parler ici – et la création tardive de ce blog devrait m’en fournir l’excuse – c’est de cette effervescence qui, telle une onde de choc, a traversé la planète le soir du 5 novembre, à l’annonce de la victoire de l’ancien Sénateur noir de l’Illinois. Sa consécration qui a été saluée avec une ferveur particulière sur le continent africain d’où son père fut originaire, a inspiré à l’écrivain Mozambicain Mia Couto, un texte d’une beauté rare que je me permets de reproduire ici à votre intention . Je signale que la version originale en langue portugaise fut publiée en novembre 2008 par le journal Savana de Maputo. Jugez-en plutôt :

« Les Africains ont jubilé avec la victoire de Obama. J'étais l'un d'eux. Après une nuit blanche, dans la pénombre irréelle de l'aube, j'ai pleuré lorsqu'il a prononcé son discours de vainqueur. J'étais également à ce moment un vainqueur. J'avais ressenti la même joie à la libération de Mandela, en 1990. La nuit du 5 novembre, le nouveau président américain n'était pas seulement un homme qui s'exprimait. C'était la voix assourdie de notre espoir qui reprenait des forces et se libérait. Mon cœur avait voté, même sans permission. Habitué à peu demander, j'ai fêté une victoire multidimensionnelle. Je suis sorti dans la rue, et ma ville, Maputo, était devenue Chicago, où Noirs et Blancs respiraient et communiaient dans une même heureuse surprise. Parce que la victoire d'Obama n'est pas celle d'une race sur une autre, car sans la participation massive des Américains de toutes origines, les Etats-Unis ne nous auraient pas donné d'occasion de fêter.
Les jours suivants, j'ai prêté attention aux réactions euphoriques dans les coins les plus divers de notre continent. Des personnes anonymes, des citoyens voulaient tous témoigner de leur joie. J'ai pris note, avec quelques réserves, des messages solidaires des dirigeants africains. Presque tous appelaient Obama "notre frère". Je me suis alors demandé si tous ces dirigeants étaient sincères. Obama est-il proche de personnages politiques si différents ? J'ai des doutes. Parce que nous voyons des préjugés seulement chez les autres, nous ne sommes pas capables de voir nos propres xénophobies. Parce que nous condamnons l'Occident, nous oublions d'accepter les leçons qui nous viennent de cette partie du monde. Et si Obama avait été africain et candidat à la présidence d'un pays africain ? Si Obama avait été africain, un de ses concurrents au pouvoir aurait inventé une révision constitutionnelle pour prolonger son mandat. Et notre Obama aurait alors dû attendre quelques années avant de se représenter. L'attente pourrait être longue si l'on tient compte de la permanence d'un même président au pouvoir en Afrique – 41 ans au Gabon, 39 en Libye, 28 au Zimbabwe, 28 en Guinée-Equatoriale, 28 en Angola, 27 en Egypte, 26 au Cameroun. Il y a plus de quinze présidents qui gouvernent depuis plus de 20 ans. Mugabe aura 90 ans au terme du mandat par lequel il s'est imposé contre le verdict populaire. Si Obama avait été africain, le plus probable serait qu'étant candidat d'un parti d'opposition il n'aurait alors pas eu d'espace pour faire campagne. Il aurait été traité comme au Zimbabwe ou au Cameroun : il aurait été agressé physiquement ou arrêté et on lui aurait retiré son passeport. Les Bush africains ne tolèrent pas les opposants et ne tolèrent pas la démocratie. Si Obama avait été africain, il n'aurait pas été éligible dans la plupart des pays africains parce que les élites au pouvoir ont conçu des lois restrictives qui ferment les portes de la présidence aux fils d'étrangers et aux descendants d'immigrants. Le nationaliste zambien Kenneth Kaunda est aujourd'hui mis en cause, dans son propre pays, du fait de ses origines malawites. On a découvert que l'homme qui a conduit la Zambie à l'indépendance et qui a dirigé les pays pendant plus de 25 ans était un enfant du Malawi et avait ainsi dirigé "illégalement" le pays. Arrêté pour coup d'Etat, Kenneth Kaunda, qui donne son nom à l'une des plus nobles avenues de Maputo, s'est vu interdire de faire de la politique et le régime a ainsi écarté un opposant.
Soyons clairs. Obama est noir aux Etats-Unis. En Afrique, il serait métis. Si Obama avait été africain, il aurait vu sa race opposée à son visage. Non pas que la couleur de la peau soit importante pour les peuples qui espèrent de leurs dirigeants compétence et travail sérieux. Mais les élites prédatrices feraient campagne contre quelqu'un que l'on qualifierait de "non authentique Africain". Le même frère noir qui est célébré comme le nouveau président des Etats-Unis aurait été vilipendé ici comme représentant des "autres", des autres races, d'un autre drapeau (ou d'aucun drapeau). S'il avait été africain, notre "frère" devrait justifier devant les moralistes de service la mention, dans son discours de remerciement, de l'appui de la communauté homosexuelle. Péché mortel pour les avocats de la "pureté africaine". Pour ces moralistes – plusieurs fois au pouvoir –, l'homosexualité est un vice mortel inacceptable, étranger à l'Afrique et aux Africains. S'il avait gagné les élections, Obama aurait probablement dû s'asseoir à la table des négociations et partager le pouvoir avec le vaincu, dans un processus de négociation dégradant qui montre que, dans certains pays africains, le perdant peut encore négocier ce qui paraît sacré : la volonté du peuple exprimée par le vote. A ce moment-là, Barack Obama se serait assis à une table avec un Bush quelconque pour d'infinies négociations avec des médiateurs africains qui nous enseignent que nous devons nous contenter des miettes des processus électoraux lorsqu'ils ne sont pas favorables aux dictateurs.
La vérité est qu'Obama n'est pas africain. La vérité est que les Africains ont fêté avec toute leur âme la victoire américaine d'Obama. Mais je ne crois pas que les dictateurs et les corrompus de l'Afrique aient le droit d'être invités à cette fête. La joie que des millions d'Africains ont ressentie le 5 novembre est née parce qu'ils ont vu en Obama exactement le contraire de ce qu'ils connaissent avec leurs dirigeants. Bien qu'il nous soit difficile de l'admettre, une minorité d'Etats africains connaissent ou ont connu des dirigeants qui se préoccupaient du bien public. Le jour où Obama a remporté la victoire, les journaux internationaux ont rapporté des nouvelles terribles venant d'Afrique. Le jour de cette victoire, l'Afrique a continué à subir la mauvaise gestion et l'ambition démesurée de politiques avides. Après avoir tué la démocratie, ces politiques tuent la politique. Il reste la guerre, dans certains cas. Ailleurs, le renoncement et le cynisme. Il y a une seule façon de célébrer Obama. C'est de lutter pour que plus d'espoirs puissent naître sur notre continent. C'est de lutter pour que des Obama africains puissent aussi gagner. Et nous, Africains de toutes les ethnies et races, nous gagnerons avec ces Obama et célébrerons chez nous ce que nous fêtons chez les autres. »

Je n’ai personnellement aucun commentaire à ajouter à cette réflexion dont la justesse force le respect dû à l’auteur. C'est dire si j'épouse sa critique et son appel au sursaut des Africains qui se voient tous les jours confisquer le rêve qui a porté l'ancien Animateur social des quartiers pauvres de Chicago. J’ai eu plusieurs discussions sur le sujet avec des personnes de milieux et d’origines diverses, aussi bien ici au Canada que sur la toile. Ce texte suscite-t-il quelque chose chez vous ?

7 commentaires:

  1. Bien des encouragements pour l'initiative. Comme vous le dites, cette réflexion se passerait en principe de tout commentaire. Avec elle (réflexion) et tant d'autres sur des sujets aussi variés, il est possible de croire que l'Afrique, par ses fils, a atteint un seuil acceptable - voire plus - de capacité à la réflexion.

    Le vrai jeu pour le développement de l'Afrique se joue en réalité ailleurs: dans l'action ! Nous devons être conscients de notre propre responsabilité pour changer l'Afrique. D'Obama, nous n'attendrons rien de plus qu'il ne "travaille à nos cotés pour faire en sorte que nos fermes (PAS AUTRE CHOSE...!) prospèrent...".

    Sa mise en garde "à ceux qui s'accrochent au pouvoir par la corruption et la fraude, et en bâillonnant les opinions dissidentes...", si elle doit se concrétiser, est en plus un message rassurant pour "l'Afrique des assassinats et des dictatures".

    La « grande contagion » doit se poursuivre: chaque Africain, Africain d’origine ou ami de l’Afrique, où qu’il se trouve dans le monde, doit se sentir en mission, pour convaincre… en vue d’une action et d’une image positives à l’égard de l’Afrique. En outre, plus d’Africains « qui réfléchissent » doivent s’impliquer plus concrètement en politique: c’est le seul moyen de rehausser la qualité des dirigeants et espérer ainsi occasionner des programmes de bonne gouvernance qui répondent aux normes des Etats modernes.

    Pour atteindre le SEUIL, nous avons besoin d’un plus grand nombre, ces « Obama » africains contre ces « Bush » africains…

    Et vous, quelle est votre part d’action concrète, au-delà de la réflexion ?

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  2. Merci, cher Anonyme. Votre appel est dans la continuité de celle de Mia Couto et je ne peux que le saluer. Au-delà de la réflexion, dites-vous, quelle serait mon action concrète ? Je ne prétendrai pas ici être l'homme-miracle ni de mon pays ni de l'Afrique. D'ailleurs, je crois que nos pays n'ont guère besoin d'hommes providentiels, l'histoire nous a montré à quoi cela rimait. Ce que je puis dire, c'est que ceux qui me côtoient ou m'ont côtoyé savent que j'ai une conscience politique affirmée et que le parcours que j'ai emprunté jusqu'ici sur tous les plans de ma vie n'a jamais été le fruit des choix hasardeux. Quand j'étais en Afrique, j'ai travaillé pour mon pays et souvent aux côtés et pour les "faibles", les laisser-pour compte. C'est un fait. Aujourd'hui, je poursuis en Occident ma quête des outils dont j'estime avoir besoin pour être davantage utile à l'Afrique et au Congo en particulier. Vous-mêmes invitez "les Africains qui réfléchissent" à s'investir activement dans la politique. La quête dont je parle s'inscrit, pour moi, dans les préalables à ce rendez-vous ô combien exigeant. Car je ne concois pas l'engagement politique comme un caprice d'homme ou de femme otage de son Ego, mais comme la décision réfléchie d'un individu qui a à la fois une vision, une structure au sein de laquelle cette vision est appelée à se mouler en projet de société et un profil à la mesure de l'ambition qu'il nourrit pour ses compatriotes. Pécher par le manque d'un seul de ces 3 éléments me semble pur aventurisme dans lequel je ne me projete aucunement. Voilà, en quelque sorte, comment je résumerais "ma part d'action concrète" : elle a commencé sous une forme, se poursuit sous une autre et prend rendez-vous en vue d'atteindre une phase ultime, celle du passage effectif dans l'échiquier politique. Puisse l'avenir vous en donner une meilleure illustration. En espérant vous avoir répondu, bonne semaine à vous !
    P.S.: Si vous ne souhaitez pas créer un compte Google pour poster vos commentaires, sentez-vous libre de signer avec un pseudo en bas de texte, ca aiderait à vous répondre parmi d'autres posts éventuels, à l'avenir.

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  3. Et vous (QUI NOUS LISEZ) à travers le blogue de Blaise NDALA, quelle est votre part d’action concrète, au-delà de la réflexion ?

    A vous, Blaise NDALA, bien des encouragements pour l'initiative.

    (Sé INDOMU)
    - mais qui pourrait bien être MAX, MICHELLE, PATERSON, ... -

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  4. "nous ne sommes pas capables de voir nos propres xénophobies. Parce que nous condamnons l'Occident, nous oublions d'accepter les leçons qui nous viennent de cette partie du monde."

    ça, pour être d'accord, tu conviendras que je le suis ;)

    Une seule remarque cependant. L'auteur considère que la négociation avec le vaincu est dégradante. Or, c'est justement cette absence de compromis (et un système de répartition des sièges très contestable) qui fait de la démocratie américaine une démocratie faible.

    Dans le sens où il est quasiment impossible qu'un candidat remporte 100% des voix, lui donner l'entièreté des pouvoirs lorsqu'il gagne, ce n'est pas véritablement répondre à la volonté générale, mais à la majorité uniquement. Aux USA ce point n'est pas respecté, aucun compromis n'est établi avec le perdant, ce qui a pour conséquence qu'un peu moins de 50% des votants n'est pas entendu... Il suffit que cela reste proportionnel et encadré, ce qui n'est peut être pas possible sans abus actuellement en Afrique. Mais les USA pourraient, il me semble montrer l'exemple. Parce que la vraie démocratie, c'est quand même celle qui permet de trouver un terrain d'entente pour que le plus de monde possible soit entendu.

    Bizz

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  5. Réponse à l'Anonyme : Et vous ;) ?

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  6. @ Puce :
    Bonjour et bienvenue ! Je suis bien heureux de vous retrouver ici. Pour le passage relatif aux critiques à l'Occident, rien à redire, j'adhère à la stigmatisation que nous lance l'auteur. Et je vous connais assez pour savoir que votre adhésion n'est pas liée au fait que vous soyez une Occidentale.
    Toutefois, j'hésiterais avant de vous suivre sur le terrain de la quête du compromis qui selon moi, ne doit pas verser dans la compromission. La démocratie américaine serait-elle faible parce que malade d'une absence de compromis ? J'en doute un peu. Je ne crois pas personnellement - et c'est juste mon avis - que le but en démocratie soit le consensualisme que j'entrevois derrière votre exhortation à "trouver un terrain d'entente pour que le plus de monde possible soit entendu". Mais heureusement que vous mettez le mot "possible". Car, au-delà d'un idéal que j'estime rarement possible sur le terrain de l'action, la démocratie n'est-elle pas à la base le pouvoir de la majorité moyennant protection de la minorité ? Pour prendre un sujet d'actualité, où en serait M. Obama, par exemple, s'il devait s'enliser dans une recherche sans fin du compromis avec un camp Républicain au Congrès décidé, par choix idéologique (l'Etat ne doit pas dépenser trop d'argent), de barrer la route à son Stimulus-Plan alors même que les USA perdent des milliers d'emplois tous les jours? Oui, dans certaines circonstances, lorsque cela est possible et nécessaire à la bonne conduite des politiques servant l'intérêt général, il est souhaitable de rechercher le compromis, même si on a la majorité avec soi. Mais lorsque cela n'est pas possible ou qu'aucune cironstance particulière le commande, il est normal que le parti qui a obtenu la majorité des suffrages des électeurs, fût-ce par un cheveu, puisse appliquer le programme approuvé par les citoyens. Ce n'est pas un modèle parfait, cela peut ne pas être efficace quelquefois, mais c'est avant tout cela la démocratie et comme disait quelqu'un, "c'est le moins pire des systèmes politiques inventés jusqu'à ce jour par l'homme".
    Pour revenir aux Africains, si tant est qu'il faille s'asseoir sur les résultats des élections et négocier ipso facto avec le vaincu au pouvoir de peur qu'il punisse les électeurs en sèmant le chaos comme on l'a vu récemment au Kenya et au Zimbabwe, alors on donnerait vraiment raison à cet homme politique Français qui a osé dire que "la démocratie est un luxe pour les Africains". Alors, je dis compromis pourquoi pas, mais surtout : dans quel contexte et à quel prix ?
    Biz

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  7. Tous nos encouragements pour cette très bonne initiative...nous nous rejouissons de cette analyse combien fructeuse et bien élaborée.Il n'est interdit à personne de rêver, sinon , que ferions-nous dans nos songes...

    "c'est celui qui n'a jamais excercé qui trouve que le pouvoir n'est pas plaisant". Philosophie africaine.
    Pensez-y !!
    Nambatwo

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